Le reggaeman ivoirien Kajeem au Femua, septembre 2021.

Centré sur les musiques urbaines et organisé à Abidjan avant de se clôturer à Grand Bassam, le Femua 2021 a mis en lumière durant quatre nuits quelques-uns des acteurs clés du coupé décalé, du zouglou, du rap et du reggae, mais aussi des figures montantes issues de la même génération. Avec en filigrane la volonté de montrer à quel point musique et engagement sociétal peuvent se compléter, en l’occurrence en prenant activement part à la sensibilisation contre la Covid-19 grâce à la vaccination.

La formule fait mouche, comme souvent dans le reggae ivoirien : pour Kajeem, actif au micro depuis trois décennies, le rapport que ses compatriotes les moins démunis entretiennent avec cette musique originaire de Jamaïque peu soutenue, quand elle n’est pas montrée du doigt, « est celui qu’ils ont avec les prostituées ; ils sont bien contents d’aller là-bas, mais il ne faut surtout pas qu’on les y voit ».

Le décalage, pour autant, n’empêche pas ce genre musical popularisé sur le continent par quelques figures majeures d’y être particulièrement apprécié. Au Femua (Festival des musiques urbaines d’Anoumabo), organisé dans un des quartiers populaires d’Abidjan, les quelques milliers de personnes présentes pour la troisième soirée de concerts ce 11 septembre ont soutenu sans réserve celui que l’on surnomme le « gardien du feu » – titre de son dernier album en date paru en 2016.

Kajeem, représentant d’une tendance qui trouvait à l’origine dans le reggae et le rap ses deux jambes pour se mettre en mouvement, n’est pas homme à ranger ses convictions dans sa poche. Ce ton-là, offensif mais pas agressif, lui a joué des tours, notamment lorsque les partis politiques d’opposition se sont servis de ses chansons sans son autorisation…

S’il reconnait que, le temps passant, « par la force des choses, [il est] devenu un des mentors de la nouvelle génération », le quinquagénaire à la passion intacte n’en oublie pas sa carrière personnelle. La préparation de son prochain album, entre Abidjan et Marseille, fait d’ailleurs écho au thème de la 13e édition du Femua, décliné dans une multitude de débats et d’ateliers en parallèle de la programmation musicale : « Alliance Europe-Afrique, paix et développement ».

Entre l’Afrique et l’Europe

La relation entre les deux continents « a besoin d’un peu de pédagogie », considère l’infatigable A’Salfo, à la tête du festival et leader de Magic System. Son groupe, aux multiples hits en Occident, a le profil idéal pour conduire la réflexion. Quitte à sortir du discours attendu et mettre en évidence un déséquilibre jamais évoqué : « Pourquoi on ne prendrait pas une chanson de M’Pokora ou de Christophe Maé pour soutenir les Eléphants de Côte d’Ivoire ? », questionne-t-il, en référence au titre Ramenez la coupe à la maison adressé à l’équipe de France de football lors du Mondial 2018 par le rappeur Vegedream, aux origines ivoiriennes et invité de marque du Femua 2021.

« La chance qu’un artiste de chez nous peut avoir d’évoluer devant plusieurs dizaines de milliers de personnes en Europe, un artiste européen ne l’aura pas en Afrique », insiste le chanteur-organisateur quadragénaire, dont les concerts sur le Vieux Continent attirent les foules.

Sans doute est-ce dans cette optique qu’il a fait venir à Abidjan la sulfureuse rappeuse espagnole Mala Rodriguez (deux Latin Grammy Awards à son compteur), dont la tenue qui montre plus qu’elle ne cache n’a pas manqué par son attitude ultra suggestive de provoquer des éclats de rire mêlés de gêne parmi les spectatrices ivoiriennes.

Autre exemple du même type avec Keen’V, dont la présence pouvait a priori interroger. Mais le chanteur de variété français, qui compte dans sa discographie des titres devenus très populaires dans l’Hexagone et un duo avec Magic System, a montré qu’au pays du coupé-décalé, il avait toutes les qualités d’un ambianceur. Sans oublier, à la fin de son show, d’inciter à la vaccination contre la Covid-19.

Keen’V sur la scène du Femua, septembre 2021.

Vaccination

 Répété par la quasi-totalité des artistes du Femua, le message d’actualité est d’autant plus pertinent que deux centres de vaccination ouverts nuit et jour ont été installés sur le site. Après deux jours, près de mille personnes s’y étaient présentées, se félicitait A’Salfo, qui espérait doubler le chiffre d’ici la fin de la manifestation.

C’est en réalisant qu’un événement tel que ce festival constituait « une aubaine » pour apporter une pierre à l’édifice contre la pandémie que la star ivoirienne a entrevu la possibilité de l’organiser cette année, après deux reports dictés par la crise sanitaire. Encore fallait-il convaincre les autorités de le suivre – et à son rythme fonceur.

Heureusement, depuis 2008, lorsqu’il n’avait pu réunir que 10 000 euros sur les 45000 budgétés pour la première édition, ses interlocuteurs ont changé leur fusil d’épaule. « Le matériel n’était pas adéquat, le podium pas adapté, la bâche était archaïque, les micros crachaient… Le prestataire n’était pas forcément le meilleur, mais le plus conciliant », sourit A’Salfo, en repensant à cette époque « à des années-lumière » de ce qu’il peut aujourd’hui proposer.

Au-delà de l’impact social cher au quatuor Magic System, qui se traduit entre autres par le financement de la construction d’écoles primaires à travers leur fondation, le Femua s’est imposé comme un rendez-vous d’une envergure rare sur le continent, de ceux qui servent de modèle, comme l’affirme volontiers le Sénégalais Didier Awadi, incontournable figure du hip hop d’Afrique francophone venu en observateur.

Son alter ego franco-congolais Youssoupha partage probablement cet avis, lui dont l’apparition surprise sur scène aux côtés de sa jeune compatriote Céline Banza (Prix Découvertes RFI 2019) a eu pour effet tout à coup d’électriser l’assistance. Un frisson collectif, l’espace de quelques instants, comme la musique live sait en procurer.

Source: RFI

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