Une émission télévisée censée dénoncer le viol et mettant en scène un ancien violeur a soulevé, mardi, une vague d’indignation en Côte d’Ivoire. L’animateur a été suspendu par la direction de la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI). Les organisations de défense des droits des femmes appellent à une manifestation à Abidjan.
Lundi 30 août, en fin d’après-midi, à une heure de grande écoute, la télévision privée la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI) créée en 2019, diffuse en direct et en public son émission « La télé d’ici vacances », consacrée au viol et présentée par l’animateur Yves de M’Bella.
L’animateur a invité un homme qu’il présente comme un ancien violeur et à qui il demande d’expliquer comment il s’y prenait pour abuser de ses victimes. Pour mieux illustrer les propos de l’ex-violeur, l’animateur, riant devant un public goguenard, met à sa disposition un mannequin qu’il l’aide à allonger au sol et lui demande alors d’expliquer avec force détails comment il violait une femme.
Après cette « démonstration », l’ex-violeur est invité par Yves de M’Bella à donner ses « conseils » à une femme pour ne pas être violée. À peine terminée, l’émission a suscité des réactions outrées sur les réseaux sociaux de personnalités ivoiriennes et d’anonymes.
« Dites moi que je rêve », écrit ainsi sur Facebook Priss’K, artiste et humoriste. « C’est écœurant, inadmissible, irrespectueux, surtout envers les femmes. Un viol, c’est tellement dégradant, déshumanisant pour la victime ».
Réactions indignées
Geneviève Wannée, artiste-peintre et ancienne animatrice star de la télévision ivoirienne, dénonce quant à elle « l’attitude du présentateur qui aborde le sujet du viol comme un jeu, qui parle d’un sujet aussi traumatisant pour les victimes avec humour et désinvolture ». « Indignons-nous », ajoute-t-elle sur sa page Facebook. « On en a marre. Réveillons nous ».
Nassénéba Touré, ministre de la Femme, a condamné « fermement ces actes ignobles » qui « viennent saper les efforts » en vue d’éradiquer « ce fléau (le viol) qui gâche la vie de milliers de femmes et de filles ».
La Ligue ivoirienne des droits des femmes a également condamné « avec la dernière énergie cette émission et son contenu humiliant et dégradant pour la femme » et rappelle dans un communiqué que « le viol est un crime ». Elle a déposé une plainte « pour outrage public à la pudeur et apologie du viol » contre NCI et M. de M’Bella dont elle souhaite qu’il ne soit pas associé « à la finale du concours Miss Côte d’Ivoire » qu’il devait animer samedi.
Le présentateur demande « pardon »
Lancée peu après la diffusion de l’émission, une pétition signée, mardi, par plus de 37 500 personnes, adressée à la Haute Autorité de communication audiovisuelle (Haca), aux ministères de la Communication et de la Jeunesse, déplore que « la télévision dont le rôle est d’éduquer, se fasse complice de la violence faite aux femmes en donnant la parole à un violeur ».
La direction de la NCI a présenté ses « plus sincères excuses » et exprimé ses « profonds regrets » et sa « solidarité avec les femmes victimes de violence et d’abus de toutes sortes ». « Nous assumons humblement la pleine responsabilité de cette faute grave et regrettable dont nous tirerons toutes conséquences ».
Dans un communiqué, la Haca, dit avoir « décidé de la suspension » de Yves de M’Bella « pour une durée de 30 jours de toutes les antennes des chaînes de télévision et de radios en Côte d’Ivoire ». Elle affirme que l’homme invité dans l’émission est un ex-détenu « condamné pour viol, coups et blessures ».
Yves de M’Bella a déclaré à l’AFP « comprendre l’indignation des uns et des autres », se disant lui-même « meurtri par la tournure des événements. Je demande pardon ». Une manifestation d’organisations de défense des droits des femmes est prévue mercredi à Abidjan contre « la banalisation des violences faites aux femmes ».
Il n’existe pas de statistiques officielles sur les viols en Côte d’Ivoire
Pour l’année judiciaire 2018-2019, le ministère de la Justice indique avoir recensé 481 cas de condamnation pour viol, mais la plupart des agressions sexuelles ne font pas l’objet de plaintes, selon les ONG des droits des femmes.
Dans une enquête réalisée auprès de 5 556 personnes publiée en juin, l’ONG Citoyennes pour la promotion et la défense des droits des enfants, femmes et minorités (CPDEFM), a recensé en deux ans dans la seule ville d’Abidjan 416 féminicides, 2 000 cas de violences faites aux femmes, dont 1 290 cas de mariage de filles de moins de 18 ans et 1 121 viols.