Le gouvernement congolais veut faire du pays un centre mondial pour l’exploitation de ce métal essentiel à la fabrication de batteries électriques. Un projet semé d’obstacles.

Une usine de batteries de voiture au lithium à Nankin, dans la province chinoise du Jiangsu (est)

La République démocratique du Congo (RDC) sera-t-elle demain au cœur de la transition énergétique mondiale ? C’est en tout cas l’ambition des autorités congolaises qui mettent en valeur les ressources du pays en lithium, un minerai indispensable à la production de batteries pour véhicules électriques, et sa compétitivité pour qui voudrait y installer des usines de production.

Le pays a des arguments : il détiendrait les plus grandes réserves de lithium de roche dure inexploitées au monde. Seule une dizaine de kilomètres de son sous-sol a été étudiée sur la centaine qui regorgerait de ce minerai. Mais, d’ores et déjà, une réserve de 132 millions de tonnes prouvées et probables, c’est-à-dire exploitables de manière rentable, a été découverte.

Ceci en fait le pays au plus important potentiel du continent africain et laisse penser qu’il pourrait un jour passer devant l’Australie, qui dispose des cinquièmes plus grosses réserves mondiales et est le premier producteur de lithium de la planète.

La société australienne AVZ Minerals ne s’y est pas trompée : elle prévoit de lancer en 2023 l’exploitation du plus grand gisement de lithium de roche dure au monde. Celui-ci est situé dans la ville de Manono, dans la province du Tanganyika (sud-est), fief de la famille de l’ancien président Joseph Kabila. C’est notamment le frère de l’ancien chef d’Etat, Zoé, député de Manono puis gouverneur de la province jusqu’en mai 2021, qui a poussé au développement de la filière.

Pékin très intéressé

Le site détenu par AVZ Minerals depuis 2016 dispose d’une réserve exploitable de 132 millions de tonnes, ce qui ferait entrer cette mine dans le top 5 mondial. De quoi aiguiser les appétits : le groupe chinois Contemporary Amperex Technology Ltd (CATL), leader mondial de la fabrication de batteries, a décidé de prendre pied à Manono via une coentreprise appelée Suzhou CATH Energy Technologies. Celle-ci a prévu d’investir 240 millions de dollars pour une participation de 24 % dans le projet et pourrait dépenser jusqu’à 400 millions au total.

Le gisement d’AVZ Minerals et les autres permis de recherche de lithium autour de Manono intéressent grandement Pékin qui entend bien rester le leader de la production de batteries, dont la demande mondiale devrait être multipliée par quatorze d’ici à 2030 selon Statista, faisant dans le même temps plus que tripler les besoins en lithium.

Pour la RDC, le démarrage de la production sur la mine d’AVZ Minerals, la toute première de lithium dans le pays, constituerait un tournant en faisant de Kinshasa une place forte de la transition énergétique. Le pays est déjà le premier producteur mondial de cobalt, utilisé pour la fabrication des batteries et des éoliennes, et le quatrième producteur mondial de cuivre, qui entre dans le montage des voitures électriques et des infrastructures de la plupart des énergies renouvelables.

Les autorités voient cependant plus loin que la seule extraction de ces minerais. Lors du DRC-Africa Business Forum de Kinshasa fin novembre, qui rassemblait chefs d’Etat, banques et entreprises dans la capitale congolaise afin de déterminer comment « développer une chaîne de valeur autour de l’industrie des batteries, des véhicules électriques et des énergies propres » en Afrique, le gouvernement a annoncé vouloir participer à leur fabrication sur son territoire en transformant le lithium.

« 46 000 milliards de dollars d’ici à 2050 »

« La RDC est la destination la plus compétitive au monde pour installer des usines de fabrication de batteries », a plaidé le président congolais Félix Tshisekedi. L’enjeu : capter une partie des « 8 000 milliards de dollars » de revenus issus de la vente des véhicules électriques à l’échéance 2025, « 46 000 milliards d’ici à 2050 », a-t-il poursuivi. Un objectif conforté par une étude de Bloomberg qui affirme que construire ce type d’usine coûte moins cher en RDC qu’aux Etats-Unis ou en Chine.

Les ambitions nationales risquent toutefois de se heurter à de nombreux obstacles. Tout d’abord, en ce qui concerne le gisement de Manono : pour faire entrer sa mine en production, AVZ Minerals doit finaliser la transaction avec Suzhou CATH Energy Technologies, puis il lui restera encore quelques dizaines de millions de dollars à trouver pour disposer des 545 millions nécessaires au total.

Quant aux autres projets de recherche de lithium en RDC, ils sont bien moins avancés. Une seule entreprise, le canadien Tantalex Resources, semble réellement active sur le terrain. Ensuite, le mauvais état général des routes, notamment depuis Manono, va peser sur la logistique alors que le minerai extrait devra être transporté sur des centaines de kilomètres pour atteindre les grands ports africains et être exporté en Chine ou ailleurs.

Enfin, les usines de transformation en batteries sont gourmandes en électricité – dans un pays où le déficit énergétique est chronique – mais aussi coûteuses. Or, si les industriels chinois sont prêts à financer l’extraction du lithium, ils seront moins enclins à favoriser une filière locale de transformation. Ils ne souhaitent pas être concurrencés sur ce marché alors qu’ils ont consenti à d’importants investissements pour construire des usines dans leur pays.

Manque de transparence

Ce d’autant plus que des projets rivaux de construction d’usines de batteries au lithium émergent d’ores et déjà en Europe, au Canada et aux Etats-Unis. L’industrie congolaise du lithium devra sans doute, dans un premier temps, se cantonner à l’exportation du minerai brut, la partie la moins rentable de la filière.

Dans un rapport préliminaire publié le 13 décembre, et dont une nouvelle version plus complète devrait paraître début janvier, l’ONG Global Witness a de son côté mis en exergue les risques liés à l’exploitation de la filière lithium, en termes de gouvernance et d’environnement, si les règles nationales et internationales ne sont pas appliquées.

L’organisation, qui a enquêté sur cinquante et une concessions minières à proximité de la ville de Manono, notamment des permis de recherche et d’exploration pour le lithium, met en avant le manque de transparence sur les bénéficiaires finaux des permis et l’implication de personnalités politiquement exposées, comme le ministre de l’aménagement du territoire Guy Loando Mboyo, cité dans l’enquête « Congo hold-up ». Elle souligne aussi le flou qui demeure autour des conséquences de l’extraction de roche dure de lithium sur l’environnement.

Global Witness s’inquiète enfin du manque de traçabilité au sein de la filière, qui n’est pas soumise aux mêmes standards que d’autres minerais et métaux. Ceci augmente les risques de malversations financières et d’atteintes aux droits humains, déjà prégnantes dans le reste du secteur minier congolais.

Source: Le Monde Afrique

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