Le président nigérien Mohamed Bazoum, qui fête ce dimanche ses deux années à la tête du Niger, tente de tracer sa voie, en se distinguant de son prédécesseur Mahamadou Issoufou à travers des relations plus apaisées avec l’opposition et la société civile. Même si les perspectives économiques paraissaient bonnes pour les prochaines années, Bazoum devra faire encore achever de relever le défi sécuritaire et faire reculer la pauvreté.

Un article de Francis Sahel  

« Lui, c’est lui ; moi, c’est moi ». Deux ans après son installation dans le fauteuil présidentiel, Mohamed Bazoum pose progressivement son empreinte sur la gouvernance du Niger. Ses compatriotes lui reconnaissent volontiers une démarche de rupture sur plusieurs plans d’avec son prédécesseur et mentor Mahamadou Issoufou.

L’image d’un président prenant le TGV plutôt que l’avion pour se rendre de Paris à Bruxelles avait alors fortement séduit une large partie de l’opinion publique nigérienne, y compris dans le rang de ses adversaires politiques. Peu après son entrée en fonction, le président nigérien avait allégé le protocole d’Etat à l’aéroport de Niamey lors de ses allers et retours à l’étranger. Plus besoin désormais que gouvernement au grand complet, les présidents des institutions de la république ainsi que les chefs militaires soient au pied de l’avion pour faire déférence à chaque voyage officiel à l’étranger.

Bien au-delà de ce registre symbolique, Bazoum jouit, deux ans après son arrivée au pouvoir, d’une opinion plutôt favorable pour avoir décrispé les relations tendues de l’opposition politique avec son prédécesseur. Après une longue léthargie, le Conseil national du dialogue politique (CNDP), cadre permanent du dialogue entre pouvoir et opposition, a repris normalement ses travaux cette année. Chose inimaginable il y a peu, le CNDP, dont la présidence est assurée de facto par le Premier ministre, s’est doté de textes consensuels sur son fonctionnement et sa gouvernance.  

Décrispation à tous les étages 

Autre signe de décrispation longtemps attendue par les opposants, le statut de chef de file de l’opposition a été conféré au président du Mouvement démocratique nigérien/pour une fédération africaine (MODEN/FA Lumana) Tahirou Saidou dit Parc 20. Les avantages et privilèges prévus par la loi, notamment un cabinet, un véhicule de fonction et un budget de fonctionnement, ont suivi la reconnaissance de la qualité de chef de file de l’opposition au président du MODEN, parti d’opposition fondé par l’ancien Premier ministre Hama Amadou qui vit désormais en exil en France.  

Plusieurs figures de l’opposition nigériennes, dont l’ancien chef de l’armée Moumouni Boureima dit Tchanga, incarcérés pour les violences qui ont suivi la proclamation de la victoire de Bazoum lors de la présidentielle de décembre 2020, ont été libérés récemment. La mesure était très attendue par l’opposition qui a toujours considéré ses militants emprisonnés comme des « détenus politiques ».

Même climat apaisé dans les relations entre le pouvoir et la société civile depuis que Bazoum a pris les rênes du pays. Le nouveau président a concédé la révision de la loi sur la cybercriminalité qui cristallisait toutes les colères en raison de ses incriminations vagues sur lesquelles son prédécesseur s’est beaucoup appuyé pour envoyer nombre d’acteurs de la société civile derrière les barreaux. Le courant semble désormais mieux passer entre Bazoum et les figures emblématiques de la société civile telles que Nouhou Arzika, Moussa Tchangari, Ali Idrissa, Samira Sabou. Fait totalement inenvisageable sous le précédent président, Bazoum a reçu en 2022 pendant plus de cinq heures la société civile au palais de la présidence pour procéder à un tour d’horizon de la situation générale du pays. 

Un bilan social moins élogieux 

Le bilan des deux premières années du quinquennat semble moins élogieux s’agissant des secteurs sociaux comme l’éducation, la santé et la justice. En dépit des promesses fortes annoncées en matière d’éducation, les résultats des examens scolaires sont restés médiocres en 2022 avec seulement 27,18% de réussite au Brevet d’études du premier cycle (BEPC) et 28,95% d’admissions au baccalauréat. L’école nigérienne continue de souffrir du manquement d’infrastructures suffisantes pour accueillir les élèves dans des conditions décentes. Afin de contourner l’inadéquation entre les places disponibles et le nombre élevé d’enfants qui frappent aux portes de l’école, le Niger a construit des milliers de classes en paillottes qui peuvent malheureusement parfois prendre feu et provoquer de nombreuses pertes en vies humaines.  

La situation du secteur de la santé n’est guère plus brillante.  La qualité des soins tout comme le faible plateau technique n’arrivent pas à convaincre les Nigériens. Résultat, la plupart d’entre eux partent massivement se soigner dans les hôpitaux étrangers en Tunisie, au Maroc, en Turquie, en Egypte et même en Europe et aux Etats-Unis pour les plus fortunés et la nomenklatura politique. Avec 78 décès pour 1000 naissances, la santé maternelle est un des meilleurs indicateurs de cette agonie du système sanitaire nigérien.  

Sur le plan de la justice et de la lutte contre la corruption, quelques progrès ont été enregistrés depuis l’installation de Bazoum aux commandes de l’Etat. Un ministre et deux anciens directeurs généraux des douanes dorment actuellement en prison pour des faits de détournement présumé des deniers publics. La Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA) a reçu, officiellement en tout cas, carte blanche pour enquêter librement sur toutes les affaires de corruption, de détournement de deniers publics et de fraudes.

Ces initiatives n’ont toutefois pas convaincu les Nigériens qui attendaient de juger de la détermination du nouveau président à mener une opération mains propres à l’aune du dossier de détournement de près de 78 milliards de FCFA au ministère de la défense nationale (MDN). Après un arrangement bancal avec l’Etat, qui s’est désisté de toute autre forme de poursuite, la plupart des hommes d’affaires mis en cause dans le dossier MDN ont été remis en selle et sont même devenus éligibles à nouveau aux marchés publics.   

Perspectives prometteuses 

Alors que le président Bazoum arrive cette année à la moitié de son mandat de cinq ans, les clignotants de l’économe nigérienne sont tous au vert, en raison de très bonnes perspectives pétrolières et minières. Attendue pour cette année, la mise en service du pipe-line de 2000 km devant relier les puits pétroliers d’Agadem, sud-est du Niger, au port de Cotonou, au Bénin, devrait permettre de faire passer la production pétrolière de 20.000 barils/jour actuellement à plus de 110.000 barils/jour dès 2023. Cette nette augmentation de la production pétrolière devait ainsi permettre au pays d’afficher une des plus fortes croissances économiques sur le continent, avec un taux de 16%. Les choses se présentent également sous de bons auspices pour l’uranium, l’autre produit phare d’exportation nigérien. Avec la reprise de la construction des centrales nucléaires dans le monde, notamment en France premier acheteur de son uranium, le Niger s’attend à une forte remontée des cours mondiaux. La société française Orano (ex-Areva) prévoit de relancer en 2028 la construction de la mine d’Imouraren, qu’elle avait abandonnée après l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon en mars 2011. 

Ces bonnes perspectives minières et pétrolières pour la seconde moitié du quinquennat de Bazoum devraient s’adosser à la résilience dont fait preuve le Niger face au défi sécuritaire au Sahel.  Le pays est en effet dans une situation beaucoup moins délicate que le Burkina Faso et le Mali, deux voisins avec lesquels il devra forcément collaborer pour construire une réponse transnationale à la menace terroriste.  

Pour le Niger, le vrai défi n’est pas tant la menace sécuritaire que la croissance démographique de près de 3,8% qui aspire toute la croissance économique, plombe le développement humain et compromet la lutte contre la pauvreté. Le président Bazoum est donc attendu de pied ferme par ses compatriotes sur ce chantier du contrôle de la démographie galopante.

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