En tant qu’artiste et l’ainée Rokia Traoré livre sur ces impressions sur la jeune génération de la musique malienne et notamment sur le cas de la jeune artiste FAIZA, interpellée par le parquet.
J’ai appris l’existence de la chanteuse FAIZA avec cette information sur la page Facebook du parquet de la commune 4.
En tant que malienne je suis avec intérêt les efforts des uns et des autres pour ce que nous avons appelé « La refondation du pays ».
En tant qu’artiste la gestion du caractère peu pudique de la chanson de FAIZA me mène à me poser quelques questions dont la principale est :
QUELLE PLACE ACCORDE-T-ON AU MALI À LA CULTURE DANS CETTE CAMPAGNE DE REFONDATION ?
En tant que parolière, auteur, compositrice, instrumentiste, Je suis triste de la pauvreté des textes d’un grand nombre de chansons de jeunes artistes. Il est vrai qu’en plus de la pauvreté dans le sens des mots et l’utilisation de leur cadence il y a de plus en plus une vulgarité inutile.
Mais, dans un pays dont l’art de la parole et sa maîtrise faisaient partie de l’éducation, comment en sommes-nous arrivés là ?Malheureusement le seul rôle du parquet, que l’on soit d’accord avec ou pas, ne répondra pas à la nécessité de redonner également aux vecteurs d’éducation, d’information et d’intégration du pays, dont l’art et la culture font pleinement partie, leurs pouvoir à travers ne serait-ce que la reconnaissance de leur utilité par l’État.
Il n’y a plus aucune récompense provenant de l’État malien qui fasse rêver les jeunes artistes et leur donne envie de s’investir, apprendre, comprendre les subtilités, les codes, la sophistication des cultures maliennes.
Dans le passé, des événements comme « LES BIENNALES ARTISTIQUES ET CULTURELLES », les récompenses et les reconnaissances nationales qui en découlaient faisaient rêver. Les « SEMAINES DE LA JEUNESSE », que je n’ai pas connu, mais dont j’ai entendu parler permettaient des étapes d’initiation et d’apprentissage vers une carrière solide d’artiste correctement formé.
Tous ces événements qui menaient les différentes régions du pays à se côtoyer et partager leurs cultures et leurs façons d’être maliens ont été détruits car abandonnés sans avoir été remplacés.
De surcroît le vide laissé par leur absence ne fait que prendre de l’ampleur laissant les artistes sans espoir.
Combien de joueurs de violon monocorde sont encore heureux de leurs métiers au Mali ? combien de joueurs de bolon, combien de flutistes peuls trouve-t-on encore dans ce pays ? Combien de jeunes savent encore ce qu’est le TCHI BARANI ? Dans combien de villages au Mali peut-on encore organiser des spectacles à la fin de la saison des pluies en utilisant les instruments classiques locaux ?
Combien d’artistes/artisans perdent encore leur temps à fabriquer ces instruments classiques qui ne se jouent plus, alors disparaissent ?
Il n’y a pratiquement plus de joueur de balafon dans les villages, ni de barra…Que reste-t-il aux jeunes artistes dans notre grand Mali à refonder ?
Il leur reste les avantages du STREAMING. Facilement enregistrer une chanson, la mettre en ligne, avoir un maximum de vues. Plus on est scandaleux, plus on attire l’attention, plus on a de vues plus on avance vers une source d’argent, de carrière…Nous devons reconnaître à nos jeunes artistes ce talent qu’ils ont de s’adapter et tenir le coup, et exister dans un environnement où personne ne s’occupe d’eux, de leur devenir, de leur avenir.
Malheureusement, le fait que le parquet joue son rôle dans le cadre de la refondation ne changera rien aux tristes difficultés que connaissent les jeunes artistes maliens.
À vous tous jeunes artistes du pays, je souhaite beaucoup de courage, dans ces périodes difficiles.
ROKIA TRAORÉ Auteur compositrice malienne
Source la page facebook de ROKIA TRAORÉ