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C’était juste une « idée folle » au départ, déclare Ambroise Wonkam, professeur de génétique médicale à l’université du Cap, en Afrique du Sud.
Il parle de sa vision de la création d’une immense bibliothèque d’informations génétiques sur la population africaine, exposée dans la revue scientifique Nature au début de cette année.
Le projet « Trois millions de génomes africains » (3MAG) est né de ses travaux sur la manière dont les mutations génétiques chez les Africains contribuent à des maladies telles que la drépanocytose et les déficiences auditives.
Il souligne que les gènes africains recèlent une richesse de variations génétiques, au-delà de ce qu’observent les scientifiques en Europe et ailleurs.
« Nous sommes tous africains, mais seule une petite fraction des Africains a quitté l’Afrique il y a environ 20 à 40 000 ans pour s’installer en Europe et en Asie », explique-t-il.
Le professeur Wonkam est également préoccupé par l’équité. « Les connaissances et les applications de la génomique n’ont que trop peu profité aux pays du Sud en raison des inégalités dans les systèmes de soins de santé, de la faiblesse des effectifs de recherche locaux et du manque de financement », explique-t-il.
Seuls 2 % environ des génomes cartographiés dans le monde sont africains, et une bonne partie d’entre eux sont afro-américains. Cette situation résulte d’un manque de priorités en matière de financement, de politiques et d’infrastructures de formation, explique-t-il, mais elle signifie également que la compréhension de la médecine génétique dans son ensemble est déséquilibrée.
Les études des génomes africains contribueront également à corriger les injustices, dit-il : « Les estimations des scores de risque génétique pour les personnes d’ascendance africaine qui prédisent, par exemple, la probabilité de cardiomyopathies ou de schizophrénie peuvent être peu fiables, voire trompeuses, si l’on utilise des outils qui fonctionnent bien chez les Européens. »
Pour remédier à ces inégalités, le professeur Wonkam et d’autres scientifiques s’adressent aux gouvernements, aux entreprises et aux organismes professionnels d’Afrique et du monde entier, afin de renforcer les capacités au cours de la prochaine décennie pour faire de cette vision une réalité.
Le chiffre de trois millions est le minimum qu’il attend pour cartographier avec précision les variations génétiques en Afrique. À titre de comparaison, la UK Biobank vise actuellement à séquencer un demi-million de génomes en moins de trois ans, mais les 68 millions d’habitants du Royaume-Uni ne représentent qu’une fraction des 1,3 milliard d’Africains.
Selon le professeur Wonkam, le projet durera 10 ans et coûtera environ 450 millions de dollars (335 millions de livres) par an, et l’industrie s’y intéresse déjà.
Les entreprises de biotechnologie disent qu’elles accueillent favorablement toute expansion de la bibliothèque des génomes africains.
Le Centre for Proteomic and Genomic Research (CPGR) du Cap travaille avec la société de biotechnologie Artisan Biomed sur une variété de tests de diagnostic. L’entreprise dit être affectée par les lacunes dans la disponibilité des informations génomiques relatives aux populations locales.
Par exemple, elle peut trouver une mutation génétique chez quelqu’un sans savoir avec certitude si cette variation est associée à une maladie, surtout en tant que marqueur pour cette population particulière.
« Plus on dispose d’informations à ce niveau, plus le diagnostic, le traitement et, en fin de compte, les soins sont efficaces pour tout individu, quelle que soit son origine ethnique », explique le Dr Lindsay Petersen, chef des opérations.
Artisan Biomed affirme que les données qu’elle recueille alimentent les recherches du CPGR, ce qui lui permet de concevoir un ensemble d’outils de diagnostic mieux adaptés aux populations africaines, par exemple.
« En raison du nombre limité de données sur le génome africain, il est nécessaire d’établir un lien étroit avec la recherche et l’innovation, car sans cela, il ne s’agit que d’un autre test conçu pour une population caucasienne, qui peut ou non avoir un effet sur les populations africaines », explique le Dr Judith Hornby Cuff.
Selon elle, le projet 3MAG permettrait de rationaliser les processus et d’améliorer le développement de la recherche, et peut-être un jour de fournir des soins de santé moins chers, plus efficaces et plus accessibles, en particulier dans le système sud-africain mis à rude épreuve.
L’un de ceux qui espèrent participer au projet 3MAG est le Dr Aron Abera, chercheur en génomique chez Inqaba Biotech à Pretoria, qui offre des services de séquençage génétique et d’autres services à la recherche et à l’industrie.
L’entreprise emploie plus de 100 personnes en Afrique du Sud, au Ghana, au Kenya, au Mali, au Nigeria, au Sénégal, en Tanzanie, en Ouganda et au Zimbabwe. Actuellement, la plupart des échantillons génétiques collectés dans ces pays sont encore traités en Afrique du Sud, mais le Dr Abera espère augmenter prochainement le nombre de laboratoires.
Les lacunes ne concernent pas seulement les infrastructures, mais aussi le personnel. Au cours des vingt dernières années, Inqaba s’est efforcé d’employer du personnel et des stagiaires originaires du continent africain, mais il doit désormais étendre son programme de formation.
De retour au Cap, le professeur Wonkam affirme que si les coûts sont énormes, le projet « améliorera les capacités dans toute une série de disciplines biomédicales qui permettront à l’Afrique de relever plus équitablement les défis de la santé publique ».
Il déclare : « Nous devons être ambitieux lorsque nous sommes en Afrique. Les défis sont si nombreux qu’il ne faut pas voir petit, il faut voir grand – et vraiment grand ».