Des dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) participent à une réunion pour discuter du retour à la démocratie du Mali et de la Guinée après des coups d’État militaires, à Accra, au Ghana, le 7 novembre 2021.

La CEDEAO a imposé dimanche des sanctions à l’ensemble des autorités de transition malienne déplorant « l’absence de progrès dans la préparation des élections ». Une stratégie qui vise à accentuer la pression sur la junte tout en préservant la population avant une nouvelle réunion d’évaluation en décembre. Explications.

Réunis dimanche 7 novembre dans la capitale ghanéenne, les membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont adressé un message de fermeté à l’égard des militaires au pouvoir au Mali et en Guinée, appelant à « un processus de transition dans les plus brefs délais ».

Si l’organisation a décidé de maintenir les sanctions en place contre la junte guinéenne, tout en saluant l’adoption d’une Charte de la transition, une nouvelle étape a été franchie vis-à-vis des dirigeants maliens avec l’adoption de mesures ciblées contre les membres des autorités de transition ainsi que de leurs familles.

La CEDEAO espère ainsi contraindre le pouvoir à respecter la date butoir de transition, établie par l’ancien gouvernement au 27 février 2022, mais jugée irréaliste par l’actuel Premier ministre, qui refuse pour l’heure de fournir un calendrier. Ces nouvelles sanctions sont-elles en mesure de changer la donne ? France 24 fait le point.

Des sanctions ciblées « insuffisantes »

Lors de sa réunion du 16 septembre, la CEDEAO avait lancé un ultimatum à la junte malienne : « La conférence demande aux autorités de la transition de soumettre au plus tard à la fin du mois d’octobre 2021, le chronogramme devant conduire aux étapes essentielles pour les élections de février 2022 ». Une injonction rejetée depuis par le Mali, qui s’est dit en « incapacité » de respecter la date limite de transition.

Dimanche, la CEDEAO a donc mis sa menace à exécution en imposant une interdiction de voyage ainsi qu’un gel des avoirs aux membres des autorités de transition ainsi qu’à leurs familles. Alors que les mesures ciblées concernent habituellement des individus nommément cités, la CEDEAO a ici choisi de s’attaquer aux entités « dont les actions impactent négativement sur le calendrier de la transition ».

« Un signal fort » mais dont l’impact concret reste très limité, selon Étienne Fakaba SISSOKO, directeur du Centre de Recherche, d’Analyses Politiques, Economiques et Sociales du Mali (CRAPES), contacté par France 24.

« Les membres des autorités de transition étaient auparavant inconnus du grand publique. Pour la plupart, il ne s’agit pas de personnalités qui ont des intérêts financiers personnels hors du Mali. Cette mesure en soit est insuffisante pour faire plier les autorités. Mais elle s’inscrit dans un processus de sanctions graduelles mises en place par la CEDEAO pour faire avancer les négociations et, à ce titre, constitue une étape primordiale. »

L’embargo, une « mesure excessive » ?

Si nombre de Maliens se revendiquant du courant patriotique ont vertement critiqué ces nouvelles sanctions, dénonçant une tentative d’ingérence de plus dans les affaires internes du pays, d’autres ont poussé un soupir de soulagement estimant avoir échappé au pire. Car l’embargo économique décrété par la CEDEAO deux jours après le coup d’État du 18 août 2020 a laissé des traces dans le pays.

« Les Maliens ont beaucoup souffert de la fermeture des frontières et surtout de l’arrêt des transactions financières qui avait suscité beaucoup de critiques. Cette réaction au coup militaire a été jugé excessive et a généré beaucoup d’incompréhension, car la CEDEAO se montre peu critique lorsque des présidents, certes élus comme Alpha CONDE en Guinée, bafouent l’État de droit » souligne Mohamed Amara, docteur en sociologie à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako, contacté par France 24.

« La CEDEAO est bien consciente que son image est dégradée au Mali et doit tenter tant bien que mal de faire avancer l’agenda démocratique sans donner l’impression de punir le peuple », poursuit Mohamed Amara, également auteur de « Marchands d’angoisse. Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être » (éd. Grandvaux). « Car avec la crise économique que nous connaissons, un nouvel embargo pourrait encore aggraver la crise sociale et conduire à un soulèvement populaire. »

Les sanctions économiques comme « ultime levier »

Si la CEDEAO s’est bien gardée jusqu’ici d’agiter la menace d’un nouvel embargo, le communiqué publié à l’issue de la conférence du 7 novembre « demande à la Commission d’examiner et de lui proposer d’autres sanctions à sa prochaine session ordinaire prévue le 12 décembre 2021 ».

« Il ne fait aucun doute que la prochaine étape est la sanction économique, c’est la seule arme efficace qu’il restera à la CEDEAO si les négociations n’avancent pas », juge Étienne Fakaba Sissoko, rappelant que le Mali a déjà été exclu des instances de la CEDEAO ainsi que de l’Union Africaine.

« Même en préservant, comme ce fut le cas en 2020, les échanges de denrées de première nécessité et les produits pharmaceutiques, l’embargo entraîne l’interruption des opérations interbancaires. À titre d’exemple, il est alors impossible de transférer de l’argent entre deux banques concurrentes, ni même de déposer un chèque issu d’une autre banque que la sienne. Les investissements d’État deviennent vite très difficiles, ainsi que le paiement des salaires. C’est pourquoi la CEDEAO préfère cette fois garder cette mesure très impopulaire et coûteuse comme ultime levier, d’autant plus qu’elle pénalise également les économies des pays voisins. Cette menace à peine voilée est lourde de conséquences et peut suffire aujourd’hui à débloquer la situation. »

Mohamed Amara considère, lui, aussi que les négociations entre les autorités maliennes et la CEDEAO sont désormais dans une phase cruciale. « Certes, la CEDEAO insiste sur la date butoir du 27 février, mais ce qu’elle demande en réalité, c’est un engagement clair des autorités à tenir des élections, même au-delà de cette date. Tout le monde sait qu’au vu du retard accumulé, cette échéance n’est de toute façon pas tenable. Il faut néanmoins que les autorités maliennes consentent à en fournir une, ne serait-ce que pour servir de base aux discussions. Aujourd’hui les autorités s’y refusent mais elles sont sous pression car cette attitude jusqu’au-boutiste est de plus en plus mal perçue par une partie des citoyens et des acteurs politiques. »

Jeudi 4 novembre, l’un des principaux partis d’opposition, qui s’était jusqu’ici gardé de critiquer ouvertement le pouvoir en place, a publié un mémorandum dénonçant « l’isolement diplomatique sans précédent du Mali » et jugeant que le pays avait désormais besoin d’un « Premier ministre rassembleur, moins clivant ».

Source: France 24

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