Après des mois de crise énergétique et de chasse aux approvisionnements alternatifs en gaz naturel pour compenser la chute de l’offre venant de Russie, l’Europe est-elle enfin sortie d’affaire? Non, estiment plusieurs analystes.

L’Europe en a-t-elle terminé avec la crise du gaz? Non, selon les spécialistes (Reuters)

Depuis plus d’une semaine, des embouteillages de méthaniers -ces navires qui transportent du gaz naturel liquéfié (GNL)- encombrent les ports espagnols, comme si l’Europe ne pouvait plus absorber plus de gaz.

Selon le gestionnaire du réseau gazier espagnol Enagas, cette situation devrait se prolonger « au moins jusqu’à la première semaine de novembre ».

Le TTF néerlandais, la référence européenne du gaz naturel, évolue actuellement proche de son plus bas niveau depuis juin. Il est même repassé temporairement au dessous de 100 euros le mégawattheure fin octobre.

Son cours a chuté de plus de 60% depuis sa flambée d’août, après les interruptions de livraisons russes via les gazoducs Nord Stream qui avaient affolé les marchés.

Le contrat du TTF pour livraison immédiate a même brièvement sombré en terrain négatif la semaine dernière, une première depuis octobre 2019. Même constat aux Etats-Unis, où les prix du gaz se sont effondrés.

Ces évolutions contrastent avec l’envolée stratosphérique du gaz, jusqu’à frôler les 350 euros le MWh en Europe en mars, après le début de l’offensive russe de l’Ukraine en février.

Depuis, l’Europe s’est échinée à remplir ses réserves pour réduire autant que possible sa dépendance à la Russie, courant derrière des sources alternatives, convoquant des réunions de crise et appelant à la sobriété énergétique.

Températures élevées

La stratégie s’est avérée payante, les niveaux de stockage de l’UE dépassant désormais les 90%.

« Depuis le premier trimestre de 2022, l’Union européenne a bénéficié d’un très fort afflux de GNL principalement en provenance des États-Unis », expliquent les courtiers de Marex.

Si Georgi Slavov, de Marex, affirme que l’Europe se situe effectivement à un stade d’offre de gaz excédentaire par rapport à la demande, « il est prématuré de crier victoire », met-il toutefois en garde.

L’accalmie actuelle résulte de plusieurs facteurs favorables. Des températures anormalement élevées pour la saison, font diminuer les besoins en chauffage, et donc en gaz.

« Le ralentissement économique » et « les restrictions imposées sur la consommation de gaz » vont dans le même sens, argue l’analyste, interrogé par l’AFP.

Un hiver froid et une reprise industrielle à pleine capacité pourraient donc rapidement renverser la vapeur.

« Le continent n’est pas sorti d’affaire », renchérit Nikoline Bromander, analyste pour Rystad Energy. « Avec les flux russes qui continuent de baisser, l’hiver 2023 sera encore plus difficile ».

Le cours du gaz naturel européen évolue d’ailleurs toujours à un niveau très élevé, en hausse de plus de 80% depuis le début de l’année.

Des phénomènes bien connus

« La courbe des prix ne va pas s’installer en territoire négatif », assure à l’AFP Eli Rubin, d’EBW Analytics Group.

Une telle situation s’était déjà produite avec le brut américain, au plus fort de la pandémie de Covid-19, lorsque la demande s’était effondrée, provoquant des surplus d’offre puis une course effrénée au stockage.

Les cours du WTI avaient alors plongé dans le négatif, les investisseurs étant prêts à payer pour ne pas se retrouver avec des barils sur les bras.

Mais dans le gaz, « on parle de déséquilibres à court terme entre offre et demande qui ont un effet sur les prix à court terme », insiste M. Rubin, surtout concernant la livraison immédiate.

Même chose en Espagne, où les bouchons de tankers relèvent d’un « goulot d’étranglement », mais pas d’un déséquilibre fondamental entre une offre qui serait devenue trop abondante par rapport à la demande.

Ce phénomène a lieu « tous les ans » à l’approche de l’hiver, confirme Vincent Demoury, délégué général du GIGNL (International Group of Liquefied Natural Gas Importers), et reste localisé au large de l’Espagne.

Le pays compte six ports méthaniers, plus que n’importe quel autre pays européen, où 108 navires sont accueillis chaque semaine. L’Espagne possède par ailleurs 44% des capacités totales de stockage de l’Union européenne, selon Enagas.

Selon M. Demoury, la baisse de la consommation de gaz et les stocks élevés pour l’hiver font qu’il n’y a plus « de créneaux disponibles en Europe en novembre » pour décharger les navires.

Les méthaniers se transforment ainsi en stockage flottant temporaire « en attendant que les consommateurs aient besoin de gaz et que les prix soient plus attractifs ».

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