Alors que les médias se concentrent sur l’agression d‘ l’Ukraine, les nations occidentales savent que la confrontation de la Russie avec l’Occident est plus large et passe notamment par le continent africain.
Le vote des Nations Unies (ONU) du 2 mars 2022 – au cours duquel 17 pays africains ont voté contre ou se sont abstenus de condamner les actions de la Russie en Ukraine – montre que le Royaume-Uni, l’Europe et les États-Unis ne peuvent tenir le soutien de l’Afrique pour acquis.
Deux explications distinctes sont utilisées pour expliquer l’intérêt croissant de la Russie pour l’Afrique. Lapremière soutient que la Russie procède comme feu l’Union soviétique avec le continent africain. Elle a besoin des ressources minières africaines pour faire tourner son industrie (manganèse, bauxite, chrome) et apporte en échange une aide à la sécurité. Une stratégie mutuellement bénéfique mais à court terme et sans réelle profondeur.
La seconde explication suggère que Poutine considère l’Afrique comme une deuxième frontière, après l’Europe de l’Est, pour encercler l’Europe de l’Ouest. Les partisans de cet argument affirment qu’en favorisant l’instabilité, en perturbant les élections, en exportant des armes et en alimentant potentiellement la politique migratoire, la « grande stratégie » de Poutine vise à utiliser l’Afriquepour déstabiliser l’Europe.
La rapidité avec laquelle la Russie a étendu son influence sur le continent africain s’explique par l’hésitation croissante de l’Occident à apporter une assistance militaire aux différents pays africains. La Russie exploite non seulement les vulnérabilités du continent, mais aussi une baisse de confiance dans les réformes démocratiques libérales de certains pays africains.
Pour la Russie de Poutine, l’Afrique est également considérée comme un bloc électoral puissant dans les instances internationales qui peut renforcer le Kremlin sur la scène internationale. Pour les dirigeants africains, l’approfondissement des relations avec la Russie leur donne un moyen de compenser le déclin de l’intérêt des États-Unis pour le continent, et de rejeter leurs exigences croissantes en matière de droits de l’homme.
Le soutien militaire et sécuritaire apporté par les Russes aux pays africains s’accompagne en effet de peu d’exigences politiques, ce qui contraste fortement avec des décennies d’aide européenne ou américaine. En2014, par exemple, après que les États-Unis aient refusé de fournir des hélicoptères de combat au gouvernement nigérian en raison de sa faible réceptivité sur les questions liées aux droits de l’homme, la Russie n’a posé aucune question et a vendu au Nigeria six hélicoptères Mi-35. Idem avec l’Egypte : après le coup d’Etat militaire qui a chassé les Frères Musulmans, les Etats Unis se sont montré réticents à équiper l’appareil militaire égyptien. Là encore, la Russie a comblé le trou et l’Egypte importe un tiers de son équipement de Russie.
Des ventes d’armes sans tutelle
Les contrats d’armement de la Russie avec les pays africains sont rapides et ne font guère état de conditions politiques. Les lois russes n’obligent pas leurs partenaires à un niveau élevé de transparence. La plupart des services que la Russie offre aujourd’hui sont rendus méticuleusement opaque avec des sociétés écrans, des filiales et des navires qui n’hésitent pas à débrancher les transpondeurs qui permettent de lessuivre à la trace sur la carte des océans.
Contrairement aux Etats Unis, la Russie n’engage ni troupes régulières ni forces spéciales en Afrique. L’aide à la sécurité que la Russie apporte passe principalement par l’appel à des sociétés militaires privées, comme Wagner, aujourd’hui présente en Libye, en République centrafricaine, au Soudan et au Mali. Les mercenaires russes assurent des missions très variées, allant de la protection rapprochée des autorités officielles de Bangui, à la violente répression du soulèvement soudanais fin 2018. Assurer la sécurité présidentielle permet de pérenniser des pouvoirs autoritaires proches des intérêts russes tandis que le déploiement de conseillers, militaires ou mercenaires, autour des sites économiques d’intérêt pour la Russie assure un accès privilégié aux ressources stratégiques.
L’usage de mercenaires n’est toutefois pas gage de réussite. L’exemple mozambicain illustre les difficultés que peut rencontrer le groupe Wagner en Afrique. Apparue en 2017 à l’extrémité nord du pays, dans la région de Cabo Delgado riche en ressources gazières et minières, l’insurrection djihadiste semblait initialement facile à contenir.
Néanmoins, après deux ans de rébellion, les islamistes armés d’Ansar Al-Sunna, ou Chabab (« jeunes »), ont représenté une résistance imprévue, provoqué de nombreuses pertes, et entrainé le départ de Wagner en décembre 2019. Au-delà des difficultés rencontrées au Mozambique, Wagner est régulièrement accusé d’être à l’origine d’exactions : exécutions sommaires, torture, viols, enlèvements, pillages, etc. Ces exactions touchent principalement en République centrafricaine les minorités musulmanes, soupçonnées de soutenir les rebelles, donc délibérément ciblées par les forces centrafricaines. Dans un pays où l’accès à la justice est difficile, beaucoup craignent à Bangui que les violations des droits de l’homme imputées aux Russes restent impunies.
Le plus grand succès de la Russie en Afrique est d’avoir amélioré la perception de son rôle et de son influence médiatique et informationnelle par le biais d’opérations de désinformation. La BBC a par exemple enquêté sur des ingérences russes lors des élections malgaches et ainsi identifié des procédés similaires à ceux employés lors du Brexit ou des élections présidentielles américaines de 2016. Cette politique de désinformation s’appuie notamment sur certains médias d’État comme RT et Sputnik, qui sont parvenus à s’imposer comme des sources à l’audience significative dans de nombreux pays. Leur ligne éditoriale insiste sur l’absence de passé colonial russe en Afrique et sur une coopération pragmatique sans contreparties en termes de gouvernance interne et de démocratisation.