Au lendemain du dépôt par la junte d’une nouvelle proposition de calendrier pour rendre le pouvoir aux civils, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a adopté, dimanche, des sanctions « très dures » au Mali. La junte au pouvoir les a condamnées, tout en annonçant des actions réciproques.
Les États d’Afrique de l’Ouest ont adopté, dimanche 9 janvier, à Accra, des sanctions qualifiées de « très dures » envers la junte au Mali qui veut prendre le pays « en otage » en se maintenant au pouvoir sans élections pendant des années.
Les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), siégeant à huis clos dans la capitale ghanéenne, ont réagi vigoureusement au projet de la junte de continuer à diriger le pays jusqu’à cinq années supplémentaires et au manquement de la part des colonels à l’engagement d’organiser le 27 février prochain des élections présidentielle et législatives qui auraient ramené des civils à la tête du pays.
La Cédéao a décidé de fermer les frontières avec le Mali au sein de l’espace sous-régional et de suspendre les échanges commerciaux autres que les produits de première nécessité, affirme un communiqué lu à l’issue du sommet. Elle a aussi décidé de couper ses aides financières et de geler les avoirs du Mali à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les pays membres vont aussi rappeler leurs ambassadeurs au Mali.
Les dirigeants de la Cédéao ont entériné les mesures prises lors d’un sommet de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) précédant immédiatement le leur, a dit sous le couvert de l’anonymat un participant au sommet, parlant de mesures « très dures ».
Ces sanctions prennent effet immédiatement, ont-ils précisé. Elles ne seront levées progressivement que lorsque les autorités maliennes présenteront un calendrier « acceptable » et que des progrès satisfaisants seront observés dans sa mise en œuvre. Elles sont plus rigoureuses encore que celles adoptées après le premier putsch d’août 2020.
Représailles des autorités maliennes
Sans surprise, les autorités maliennes ont condamné « énergétiquement » ces sanctions jugées « illégales » et accusé les membres de la Cédéao d’être « instrumentalisés » par des « puissances extra-régionales », sans les nommer.
Dans un communiqué lu à la télévision par le porte-parole Abdoulaye Idrissa Maïga, le gouvernement malien de transition a promis de fermer à son tour ses frontières aériennes et terrestres avec les pays membres de la Cédéao, de rappeler ses ambassadeurs et a annoncé qu’il se réservait le droit de reconsidérer son adhésion à la Cédéao et à l’UEMOA.
Samedi, le chef de la junte, le colonel Assimi GOÏTA, a dépêché deux ministres auprès de la CEDEAO. Dans le souci de « maintenir le dialogue et une bonne coopération avec la CEDEAO », les envoyés maliens ont présenté « une nouvelle proposition » de calendrier au président en exercice de l’organisation, le chef de l’État ghanéen, Nana Akufo-Addo, a rapporté l’un des deux émissaires, le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop.
Il n’a pas précisé de durée. Mais cette démarche visait, à l’évidence, à apaiser le courroux d’un certain nombre des chefs d’État et de gouvernement avant leur sommet.
La junte demandait initialement jusqu’à cinq ans, un délai « totalement inacceptable » pour la CEDEAO. Il « signifie simplement qu’un gouvernement militaire de transition illégitime prendra le peuple malien en otage au cours des cinq prochaines années ».
La junte est revenue sur son engagement de tenir en février des élections législatives et présidentielle ramenant les civils à la tête du pays. Les autorités de « transition » disent ne pas être capables d’honorer cette échéance. Elles invoquent l’insécurité persistante dans le pays, en proie aux violences de toutes sortes, jihadistes, communautaires, crapuleuses… Et la nécessité de réformes, comme celle de la Constitution, pour que les élections ne souffrent pas de contestations à l’instar des précédentes.
Depuis le premier putsch d’août 2020 conforté par celui de mai 2021 intronisant le colonel Assimi GOÏTA comme président de la « transition », la CEDEAO pousse au retour des civils dans les meilleurs délais.
Pour l’organisation dont la crédibilité est en jeu, il s’agit de défendre ses principes fondamentaux de gouvernance, de stopper la contagion du fait accompli et de contenir l’instabilité régionale.
Un calendrier étalé sur cinq ans ramènerait un an et demi en arrière. La CEDEAO réclamait alors un retour des civils sous 12 mois. La junte demandait cinq ans. La Cédéao avait transigé à 18 mois, avec des élections en février 2022.
Gel d’avoirs financiers
Mesure de l’importance des enjeux pour la CEDEAO comme pour le Mali au cœur de l’instabilité sahélienne, c’est la huitième fois que les dirigeants ouest-africains se retrouvent, en présentiel ou en visioconférence, pour parler spécialement du Mali (avec la Guinée après un autre putsch en septembre 2021) depuis août 2020, sans compter les sommets ordinaires.
La CEDEAO a déjà imposé un gel de leurs avoirs financiers et une interdiction de voyager à 150 personnalités coupables, selon elle, de faire obstruction aux élections.
En août 2020, la CEDEAO avait suspendu le Mali de tous ses organes de décision, suspension toujours en vigueur. Elle avait aussi fermé toutes les frontières terrestres et aériennes, et instauré un embargo sur les échanges financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité.
En pleine pandémie, l’embargo infligé à un pays pauvre et enclavé avait été durement ressenti. Ces sanctions avaient été levées au bout d’un mois et demi.
La CEDEAO doit soupeser les risques de braquer les Maliens contre elle avec une nouvelle démonstration de rigueur, disent les analystes.
Une grande partie de la classe politique a boycotté les consultations dont les autorités se réclament pour demander un délai supplémentaire. Dix-huit mois après la prise du pouvoir par les colonels, la situation sécuritaire reste très détériorée, et la crise économique profonde. Mais le discours de souveraineté nationale des autorités résonne dans une partie de la population, soulignent les experts.