Une charrête assurant le transport sur une route inondée à Dakar

Les inondations ont causé beaucoup de dégâts matériels, financiers et humains au Sénégal où chaque année, plusieurs localités, dont la banlieue dakaroise, plongent dans les eaux.

Face à la recrudescence du phénomène, trouver une solution devient un casse-tête pour l’Etat du Sénégal qui fait face à la grogne populaire.

Pendant près de dix ans, la banlieue de Dakar, la capitale, est constamment dans la nasse.

L’ampleur du phénomène

Image de Keur Massar en septembre 2020, un an après la situation n'a presque pas changé

En septembre 2020, selon le bilan établi par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, basé à Dakar, 11 régions ont été touchées, dont 25 départements.

Le bilan humain est très lourd : au total 7 morts sur 16 798 personnes touchées et 365 familles personnes déplacées, toujours selon l’OCHA.

Un an plus tard, bis repetita, le Sénégal est encore frappé par les inondations qui font 5 victimes, tous des enfants morts noyés à Touba.

Au niveau du kilomètre 14, sur la route de Rufisque, à hauteur de Tivaouane-Diacksao, la route nationale est coupée, comme en 2005.

Certains habitants des zones touchées ont une fois perturbé la circulation sur l’autoroute à péage pour exprimer leur colère.

Il y a un peu plus dix ans, l’ancien maire de Djida Thiaroye Kao, M. Aliou Badara Diouck avait suggéré à la Banque mondiale une évaluation de l’impact économique des inondations sur l’économie nationale.

Il avait cité le problème de la mobilité urbaine.

« Pendant l’hivernage, les routes sont coupées, ensuite le secteur marchand est bloqué et les familles plongées dans l’extrême pauvreté sont disloquées », dit-il.

« Après une évaluation faite, on s’est rendu compte que l’Etat du Sénégal avait perdu plus de 120 milliards FCFA », révèle M. Diouck, qui est aussi consultant en collectivités territoriales.

Selon lui, le Sénégal perd également 100 milliards sur les embouteillages liés aux inondations.

Les promesses faites par l’Etat

Le président Macky Sall avait lancé le PDLI dès 2012
Son Excellence Monsieur le président Macky Sall

Pour régler définitivement le problème des inondations, l’Etat avait fait des promesses et pris un certain nombre de mesures.

Le 19 septembre 2012, lors d’un Conseil présidentiel, l’Etat du Sénégal avait établi un Plan décennal de lutte contre les inondations (2012-2022) dont le budget était évalué à plus de 766 milliards FCFA.

Oumar Guèye, le ministre des collectivités territoriales, avait promis la fin des inondations dans le pays.

Quant au président du Sénégal, Macky Sall, il avait offert 10 milliards FCFA pour atténuer la souffrance des populations coincées dans les eaux.

« Sur ces 10 milliards, 3 milliards serviront d’appui direct aux populations sinistrées sur la base des rapports des gouverneurs, préfets et sous-préfets en relation avec les maires. Et les 7 autres milliards à l’accompagnement des sapeurs pompiers, de l’Office National de l’Assainissement du Sénégal, l’ONAS, et à l’achat de matériels supplémentaires », avait expliqué le président.

Où est réellement passé l’argent ?

Un homme assis devant ses affaires dans une rue de la banlieue inondée en 2009

En octobre 2016, alors qu’elle était ministre déléguée auprès du ministre du Renouveau urbain, de l’Habitat et du Cadre de vie, chargé de la Restructuration et de la Requalification des banlieues, Mme Fatou Tambédou devait expliquer aux élus l’utilisation du budget consacré à son ministère.

« Le budget du ministère que vous votiez chaque année, que ça soit pour 2014-2015 ou 2016, en ma qualité de ministre déléguée, je ne peux pas vous dire comment ce budget a été utilisé », avait signalé Mme Tambédou à l’hémicycle.

Peu après, elle a été relevée de ses fonctions.

Contactée par la BBC pour repréciser sa déclaration, l’ancienne ministre déléguée n’a pas changé ses propos.

« Je pense que pour moi, du point de vue personnel, j’ai eu à dire ce que j’avais à dire. Dès lors, j’ai dit que personnellement je n’ai pas vu d’argent. Et jusqu’à présent, je suis sur la même position. Et l’année passée, à pareille période, j’ai eu à faire une intervention sur la 7TV où j’ai eu à réitérer les mêmes propos », dit-elle.

Le rapport des députés

Un homme portant une valise à Keur Massar pour sortir des eaux

Pendant que le Sénégal était frappé par des inondations l’année passée, l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye a évoqué le sujet sur sa page Facebook.

« Le plan de lutte contre les inondations a été intentionnellement abandonné », avait-il écrit.

« Les 750 milliards n’ont jamais été dépensés. Les inondations ont cessé d’être une priorité après mon départ du Gouvernement. Tels sont les faits », ajoutait-il.

L’ancien député Abdou Sané, spécialiste des questions d’environnement et des fléaux liés aux changements climatiques, est une autre personnalité à s’intéresser à l’affaire.

Il reconnaît que l’Office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS) a présenté un bilan de 113 milliards FCFA qui, selon lui, ne répond pas à toutes les questions.

« Ils ont un reliquat de 1 milliard pour Touba, un reliquat de plus de 910 millions pour Sédhiou, un reliquat de 1038 millions à Kaffrine. Comment expliquer ça aussi ? », s’interroge-t-il.

Sur les 511 milliards FCFA que le gouvernement dit avoir dépensé dans les inondations, M. Abdou Sané dit n’avoir pas vu de justificatif rendu publique pour 398 milliards FCFA.

Une mission d’information parlementaire effectuée, sur demande du président Macky Sall, du 15 septembre au 31 octobre 2020 a conclu que le Plan Décennal de Lutte contre les Inondations (PDLI) avait été exécuté à hauteur de 511 milliards FCFA, soit 66,65%.

Mais l’ancien député Abdou Sané reproche aux élus d’avoir  »tout simplement validé un rapport du gouvernement. »

Toutefois, son avis ne fait pas l’unanimité, vu la nature même de la mission.

« Ce n’était pas une mission d’enquête parlementaire »

Pour Aliou Badara Diouck, conseiller technique du président de l’Assemblée nationale, « la mission d’information des députés n’était pas une mission de bureau d’études, ni une mission de spécialistes, mais plutôt de vérification. »

L’ancien maire de Djida Thiaroye Kao affirme que les parlementaires avaient pour mission d’aller « voir si les ouvrages dont on parle existent réellement sur le terrain. »

L’Etat sénégalais a fourni aux députés une cartographie des ouvrages réalisés pendant les 8 ans du plan décennal dans les principales régions du Sénégal touchées par les inondations.

Leur rapport a été évalué et discuté à l’Assemblée nationale avant d’être remis au président Macky Sall.

« Ce n’était pas une mission d’enquête parlementaire ni la cour des comptes ou une mission d’inspection », précise le conseiller technique du président de l’Assemblée nationale.

« Les députés ne pouvaient pas techniquement évaluer si le béton armé et les matériaux utilisés respectaient les normes », explique Aliou Badara Diouck.

Il conclu en clarifiant que « compte tenu de la ligne qu’elle s’était fixée, nous pouvons dire que la mission parlementaire a fait son job. »

Malgré tout, les réalisations

Membre de la mouvance présidentielle, Aliou Badara Diouck, insiste que le Plan décennal de lutte contre les inondations a des résultats positifs à certains endroits.

« Nous pouvons dire que le plan a réglé une bonne partie de la problématique des inondations. A Philippe Maguilene Senghor, Nord-Foire, Ouest-Foire, Dalifort, la commune de Djida-Thiaroye Kao, les communes de Wakhinane-Nimzatt, Médina Gounass et une bonne partie de Keur Massar qui étaient très impactées par les inondations, le problème est presque réglé », explique M. Diouck.

« Aujourd’hui sur les 66 quartiers que compte la commune de Djida Thiaroye Kao, il n’y a que 3 quartiers qui sont critiques », souligne M. Diouck.

Le ministre sénégalais des collectivités territoriales et porte-parole du gouvernement, Oumar Guèye, abonde dans le même.

« C’est vrai que nous sommes tous concentrés vers les zones inondées mais nous ne nous rappelons pas des zones qui étaient inondées avant et qui ne le sont plus. Ce sont des zones qui ont eu un traitement particulier », rappelle-t-il.

« Pour la première fois au Sénégal, avec l’avènement du Président Macky Sall, nous avons un Plan décennal de lutte contre les inondations depuis 2012 et qui va se terminer en 2022. Ce plan décennal a pris en charge beaucoup de questions liées aux inondations », poursuit le ministre.

« Une posture d’anticipation »

Félix Antoine Diome, le ministre de l'Intérieur du Sénégal, lors du lancement du Plan ORSEC
Félix Antoine Diome, le ministre de l’Intérieur du Sénégal, lors du lancement du Plan ORSEC

En intervenant le 29 août dernier lors d’un débat sur les inondations sur la chaine de télévision locale SenTV, M. Momar Guèye, conseiller technique du ministre des collectivités territoriales, soutient que « le phénomène des inondations ne date pas d’aujourd’hui. »

« Il faut qu’on sache que nous avons hérité d’une situation qui est liée à un problème d’aménagement du territoire. Donc, il faut qu’on s’accorde sur le fait que de nombreuses personnes sont allées habiter dans des zones non aedificandi », explique-t-il.

C’est à peu près le même discours qu’avait tenu le chef de l’Etat, le vendredi 20 août, avant le lancement du Plan d’organisation des secours (ORSEC).

Intervenant dans une radio de la place, Oumar Guèye, le ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des Territoires, dégage la responsabilité de l’Etat du Sénégal sur le phénomène des inondations.

« Ce n’est pas quelque chose qui est propre au Sénégal. Nous avons vu ce qui s’est passé tout récemment en Allemagne avec 200 morts, en Belgique avec une quarantaine de morts, en Indonésie, en Chine, un peu partout dans le monde, deux éléments fondamentaux pour l’homme sont en train de se transformer en difficultés, c’est le feu et l’eau », disait-il.

A l’issue du Conseil des ministres en date du 1er septembre dernier, « revenant sur l’évolution de la lutte contre les inondations et sur le renforcement des politiques d’aménagement du territoire ; d’urbanisme et d’assainissement, le président de la République a demandé :

  • au Ministre de l’Intérieur d’assurer un suivi rapproché de la mise en œuvre du plan ORSEC, notamment à Touba
  • au Ministre en charge des Collectivités territoriales de veiller à l’opérationnalisation soutenue de la phase d’urgence du PROGEP 2 à Keur Massar. »

« Le Président de la République indique (…) la nécessité pour le Gouvernement d’avoir une posture d’anticipation dans l’acquisition des équipements adéquats et d’adapter la formation des intervenants, tout en développant le sens des urgences et d’accélération des procédures », indique le communiqué du Conseil des ministres.

Encore un nouveau programme décennal ?

Inondation dans une rue de Pikine en 2016

Alors que le premier plan décennal de lutte contre les inondations n’a pas encore livré publiquement tous les détails de sa mise en œuvre, le gouvernement du Sénégal cogite déjà sur un nouveau programme décennal de gestion des inondations pour la période comprise entre 2023 et 2033.

« Le Chef de l’Etat souligne également la nécessité pour le Gouvernement de préparer la formulation d’un nouveau programme décennal de gestion des inondations (2023-2033), en cohérence avec le Plan national d’Aménagement et de Développement des Territoires (PNADT) et dans une dynamique de développement de la politique d’assainissement », explique un communiqué du dernier Conseil des ministres.

« Le Président de la République rappelle, enfin, la nécessité de généraliser l’élaboration des plans directeurs d’urbanisme et d’assainissement dans toutes les collectivités territoriales du pays et de renforcer les ressources humaines, logistiques et financières de l’Office national de l’Assainissement du Sénégal (ONAS), structure qui doit signer un contrat de performances innovant avec l’Etat », poursuit le document.

Source: BBC

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