Un nouveau rapport suggère que l’influence des États du Golfe sur la politique américaine a désormais atteint le niveau d’un défi de sécurité nationale.

Après la réunion du Sommet du Néguev, le secrétaire d’État américain Antony Blinken, au centre, discute avec le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Sheikh Abdullah ben Zayed Al Nahyan, à Sde Boker, en Israël, le 28 mars 2022. Jacquelyn Martin/Pool via Reuters

Les efforts bien documentés des Émirats arabes unis pour orienter la politique étrangère américaine au profit de l’État du Golfe sont devenus un défi de sécurité nationale, attirant désormais l’attention du National Intelligence Council, la plaque tournante de la communauté du renseignement qui s’appuie sur les informations de 18 agences de renseignement américaines et sert de pont entre la communauté du renseignement et les décideurs politiques, selon un rapport publié ce week-end par le journaliste du Washington Post John Hudson.

Les préoccupations de la communauté du renseignement concernant les efforts des EAU pour influencer la politique américaine, qui ont été compilées dans un rapport classifié, montrent que la communauté du renseignement suit de près les efforts de l’État du Golfe pour gagner de l’influence à Washington, une tendance de comportement que les journalistes et les militants ont également documentée ces dernières années.

En d’autres termes, les préoccupations relatives à l’ingérence des Émirats arabes unis dans la politique américaine sont devenues une préoccupation de sécurité nationale partagée par la communauté américaine du renseignement. Cet examen minutieux de la part des agences de renseignement est très inhabituel, car celles-ci ont pour mandat de se concentrer sur les menaces étrangères et évitent généralement de s’engager dans des activités qui pourraient être considérées comme une étude de la politique américaine ou des responsables américains.

Hudson, faisant état de conversations qu’il a eues avec des sources anonymes de la communauté du renseignement qui ont lu le rapport classifié, a écrit :

Les activités couvertes par le rapport, décrites au Washington Post par trois personnes qui l’ont lu, comprennent des tentatives illégales et légales d’orienter la politique étrangère américaine dans un sens favorable à l’autocratie arabe. Il révèle la tentative des EAU, qui s’est étendue sur plusieurs administrations américaines, d’exploiter les faiblesses de la gouvernance américaine, notamment sa dépendance aux contributions de campagne, sa sensibilité aux puissantes sociétés de lobbying et l’application laxiste des lois de divulgation destinées à protéger contre l’ingérence des gouvernements étrangers, ont déclaré ces personnes.

Bien que le rapport du National Intelligence Council ait eu accès à des informations confidentielles sur l’ingérence illégale des EAU en Amérique, les informations disponibles publiquement montrent que les EAU mènent l’une des plus grandes opérations d’influence légales aux États-Unis. Comme le documente un mémoire à venir de l’Institut Quincy, les cabinets de lobbying, de relations publiques et d’autres cabinets travaillant pour le compte des EAU enregistrés en vertu de la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (FARA, Foreign Agents Registration Act) en 2020 et 2021 ont signalé plus de 10 000 activités politiques pour le compte de leurs clients émiratis.

Cela comprenait un travail de sensibilisation extraordinaire auprès du Congrès. En fait, presque tous les bureaux du Congrès ont été contactés par des lobbyistes émiratis pour aider à faire passer des ventes d’armes aux EAU, encourager une plus grande méfiance à l’égard de l’Iran, promouvoir les Accords d’Abraham, et de nombreuses décisions politiques clés au cœur de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.

Le rapport à paraître du Quincy Institute révèle également que les membres du Congrès contactés par les lobbyistes des EAU recevaient également des contributions de campagne de ces mêmes sociétés de lobbying.

Plus de 500 000 dollars de contributions de campagne provenant de sociétés enregistrées auprès de la FARA et travaillant pour les intérêts des EAU ont été versés à plus de 100 membres du Congrès que ces sociétés avaient contactés au nom des EAU en 2020 et 2021.

Bien que certains puissent considérer ces pratiques comme des politiques de type « pay-to-play » [miser pour jouer, NdT], elles ne sont pas illégales. Les déclarations supplémentaires de la FARA, où ces informations ont été obtenues, indiquent clairement que ces contributions ne sont pas versées au nom des EAU ou de tout autre client étranger, mais qu’elles proviennent « de vos propres fonds et en votre propre nom », ce qui met les lobbyistes à l’abri des accusations selon lesquelles ils sont coupables d’aider leurs clients émiratis à violer l’interdiction de la Commission électorale fédérale concernant les contributions de ressortissants étrangers aux campagnes électorales.

Les groupes de réflexion sont une autre composante essentielle des efforts d’influence légale des EAU aux États-Unis.

« Les EAU ont dépensé plus de 154 millions de dollars en lobbyistes depuis 2016, selon les dossiers du ministère de la Justice, rapporte Hudson. Ont été dépensées des centaines de millions de dollars supplémentaires en dons à des universités et des groupes de réflexion américains, dont beaucoup produisent des documents d’orientation dont les conclusions sont favorables aux intérêts des EAU. »

Les Émirats arabes unis sont l’un des principaux donateurs étrangers aux groupes de réflexion américains. Chaque année, ils financent à hauteur de plusieurs millions de dollars les groupes de réflexion les plus influents d’Amérique, notamment l’Atlantic Council, la Brookings Institution, le Center for Strategic and International Studies et le Middle East Institute. Dans certains cas, les groupes de réflexion financés par les EAU semblent fournir des commentaires et des écrits publics conformes aux intérêts de leurs bailleurs de fonds émiratis. Des groupes de réflexion ont même rédigé des rapports spécifiques à la demande du gouvernement des EAU et, dans un cas au moins, ont embauché et chargé un ancien membre du personnel de l’ambassade des EAU de coécrire un rapport conseillant les décideurs politiques sur la stratégie américaine au Moyen-Orient. Compte tenu de l’influence extraordinaire des EAU et d’autres pays sur les groupes de réflexion, dans le rapport de l’Institut Quincy intitulé « Restaurer la confiance dans le secteur des groupes de réflexion », nous avons appelé à plusieurs réformes de bon sens pour améliorer la transparence et la responsabilité du financement des groupes de réflexion, notamment en exigeant que tous les groupes de réflexion divulguent publiquement leurs bailleurs de fonds étrangers.

Mais malgré les preuves documentées de l’ingérence des Émirats arabes unis dans l’élaboration de la politique américaine, une ingérence qui a maintenant atteint les plus hauts niveaux de la communauté du renseignement des États-Unis, rien n’indique clairement que les Émirats arabes unis sont confrontés à des conséquences ou ont même été confrontés à leurs actions.

Hudson s’est entretenu avec un législateur américain qui avait lu le rapport classifié et s’est dit préoccupé par le rôle de l’argent émirati dans l’influence de la démocratie américaine.

« Une ligne rouge très claire doit être établie contre le fait que les EAU jouent dans la politique américaine, a déclaré le législateur. Je ne suis pas convaincu que nous ayons déjà abordé ce sujet avec les Emiratis à un niveau élevé. »

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