« Le Mali est un pays très lié au Sénégal par sa géographie, son histoire », a souligné le président Macky Sall lors de sa visite au Mali la semaine dernière. Un peu plus de 50 ans, en fait, avant l’accession du Président Sall à la magistrature suprême du Sénégal, en 2012, les deux pays frontaliers avaient uni leur destin dans le cadre d’une fédération (du Mali) pour une amorce optimale de l’ère post-coloniale.
Malheureusement, l’union scellée entre le Sénégal et le Soudan français (actuelle république du Mali) le 17 janvier 1959, ne prospéra pas et a dû éclater brusquement un certain 20 août 1960, au bout d’un semestre de cheminement.
Des experts contactés par l’Agence Anadolu sont revenus aux sources du projet fédéraliste tout en s’épanchant sur les principales raisons ayant conduit à l’éclatement de l’entité.
« La fédération du Mali est née après plusieurs rencontres entre les fédéralistes du Dahomey (actuel Bénin), de la Haute Volta (Burkina Faso), du Sénégal et du Soudan. Au départ ces 4 pays se sont rencontrés à Bamako pour parler d’une fédération d’États africains les 29 et 30 décembre 1958 », a rappelé Amidou Tounkara, professeur d’histoire à l’université de Bamako, revenant sur la genèse de la Fédération.
« Cette rencontre avait adopté quelques notions notamment la volonté de créer une Assemblée constituante fédérale lors de la prochaine réunion des 4 pays, l’établissement d’un calendrier à suivre pour la constitution de la fédération », a-t-il poursuivi.
« Certains avaient pensé que faire une fédération était une aventure, mais pour Modibo Keita et Léopold Sédar Senghor, il s’agissait d’aller à l’indépendance en restant groupés dans ce qu’on appelait l’Afrique occidentale française (Aof) pour éviter la balkanisation », a relevé l’historien Victor Sy, spécialiste des questions africaines.
– De quatre lors de la conception, le Fédération se retrouve à deux pour sa mise en œuvre
Tounkara a fait état des hésitations et réserves des parties dahoméenne et voltaïque qui étaient perceptibles au cours de la conférence, tout en ne minimisant pas les pressions extérieures.
« La Constitution fut adoptée le 17 janvier 1959 par l’Assemblée fédérale. Les textes devaient être ratifiés par les Assemblées des Etats fédérés mais le Dahomey et la Haute Volta refusèrent de ratifier sous la pression de Félix Houphouët Boigny qui était anti-fédéraliste. Il restait alors le Sénégal et le Soudan qui continuent alors leur chemin jusqu’à la mise en place des institutions fédérales », a-t-il expliqué. Lesdites institutions étaient composées du gouvernement fédéral, de l’Assemblée fédérale, de l’autorité judiciaire et de la Cour fédérale.
Les accords sur l’indépendance sont signés le 4 avril 1960 et la proclamation officielle de la Fédération du Mali intervient officiellement le 20 juin. Le Soudanais Modibo Keita est désigné président du gouvernement fédéral et le Sénégalais Mamadou Dia vice-président et chargé de la défense. Léopold Sédar Senghor est désigné président de l’Assemblée fédérale.
L’Assemblée fédérale comprenait 24 députés et le gouvernement huit ministres dont 4 pour chaque pays avec siège à Dakar.
Après une lutte acharnée pour l’indépendance, le plus délicat était de pérenniser dans l’entente et la parfaite homogénéité la nouvelle entité ; ce qui ne se réalisera pas malheureusement.
« Le Mali devait d’abord surmonter ses propres contradictions, chaque jour plus nombreuses et plus complexes. La différence des tempéraments, des idéologues politiques, des psychologies collectives, les ambitions des hommes, tout ce qui opposait les deux partenaires et qui fut maîtrisé dans la lutte commune pour la liberté, allait maintenant éclater au grand jour et assombrir la victoire de l’indépendance », note Ngor Dieng, psychologue conseiller et chargé de cours à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
« Soudanais et Sénégalais devenaient des rivaux et commirent les uns et les autres des erreurs qui allaient mettre en cause les espoirs fondés sur la Fédération », a-t-il poursuivi en rappelant avoir recueilli ces informations du livre ‘’ Un combat pour l’Afrique de l’ouest, la fédération du Mali‘’ de Sékéné Mody Cissoko.
– 27 août 1960, le premier rendez-vous électoral qui n’eut jamais lieu
Entre un peuple soudanais supportant Modibo Keita qui prônait le socialisme et un peuple sénégalais qui théorise sous le leadership de Senghor une méthode plus soft, le mariage de raison ayant conduit à la fédération s’en retrouve fortement ébranlée.
« Il y a eu un problème de leadership entre Modibo Keita et Leopold Sédar Senghor. Ces dirigeants avaient une certaine rivalité entre eux et cela a posé problème pour la bonne marche de la fédération », fait comprendre Tounkara, pointant aussi les manœuvres de l’ancienne colonie au nombre des facteurs bloquants de la marche de la Fédération.
« La France a su que si ses anciennes colonies comprenaient qu’elles pouvaient aller sans elle dans le cadre de cette entité ou dépendre moins d’elle, son influence allait en pâtir. C’est pourquoi elle a tout fait pour que la Fédération ne soit pas une réussite », a-t-il noté à ce propos.
« Les dirigeants français d’alors ont beaucoup contribué à l’éclatement de la Fédération. Plusieurs écrits attestent de ces faits. Ils préféraient plusieurs petits Etats comme interlocuteurs plutôt que d’avoir une fédération puissante », a expliqué l’historien Victor Sy.
« Il y avait aussi la désignation du chef d’état-major. Les Sénégalais avaient proposé le colonel Amadou Fall et pour le camp malien, c’est le colonel Abdoulaye Soumaré qui avait été proposé. Et, c’est ce problème-là, d’ailleurs, (…) qui a été fatal pour la Fédération », a encore affirmé Tounkara.
Les tensions se sont ainsi exacerbées à l’approche de l’élection présidentielle du 27 août avec comme candidats Senghor et Keita. « Tout le monde parlait de l’éclatement prochain du Mali, mais pas d’une manière aussi brusque », a noté Dieng, rappelant que la méfiance subsistait des deux côtés.
La tension atteint son paroxysme lorsque Modibo Keita donne des instructions au chef d’état-major des armées pour la sécurisation des élections. Ce que les Sénégalais voyaient d’un mauvais œil criant à la « tentative de coup d’Etat ».
« Le Conseil des ministres du 19 août, juridiquement valable, fut une erreur politique de la part des Soudanais. Il prit deux mesures d’une extrême gravité, qui allaient provoquer l’éclatement immédiat de la Fédération : Un décret déchargea Mamadou Dia de la Défense et de la Sécurité extérieure, désormais dévolues au Président du Conseil, c’est-à-dire à Modibo Keïta lui-même. C’était une grave violation de la Constitution, un deuxième décret proclame l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire malien », a rappelé Dieng, notant la présence d’un seul des quatre ministres sénégalais lors dudit conseil.
– Deux Etats et la même devise ‘’ Un peuple- Un but- Une foi
La partie sénégalaise a riposté et parvient à renverser la situation en cette nuit du 19 au 20 août. L’Assemblée législative proclame l’indépendance du Sénégal et met en place son gouvernement.
« Le dimanche 21 août, Modibo et ses compagnons furent escortés par le chef du protocole à la gare de Dakar et embarqués dans un train spécial à destination de Bamako. Ils étaient 130 : tous les responsables politiques, les hauts fonctionnaires et leurs familles », fait savoir Dieng.
Le rêve de construire une grande nation solidement organisée tombait ainsi à l’eau. Le Soudan a dans la foulée proclamé son indépendance le 22 septembre 1960 en devenant la république du Mali.
« L’échec de la Fédération a résulté de causes objectives et subjectives, dont la plus déterminante semble liée au fait que les concepteurs du projet n’avaient pas suffisamment pris en compte la force du micro-nationalisme dans l’esprit des chefs politiques et des populations elles-mêmes », a expliqué en 1999, avec le recul, Mamadou Dia, acteur de premier plan de cette expérience.
« Il s’y ajoute qu’après le retrait de nos autres partenaires, la Fédération s’est réduite à un tête-à-tête entre Sénégalais et Soudanais qui ne pouvait qu’être un dialogue de sourds à l’époque, sans possibilité d’arbitrage ni même de résolution démocratique des conflits », a-t-il encore noté.
« Avouons aussi que de nombreux Sénégalais n’étaient pas enthousiasmés par une construction fédérale à laquelle ils avaient le sentiment d’avoir tout apporté, notamment Dakar et ses infrastructures, sans véritable contrepartie. Et que la partie soudanaise n’était pas non plus exempte de péchés », a-t-il conclu.
« L’éclatement de la Fédération du Mali est un évènement destructeur. La réussite de cette fédération devrait marquer le début d’une fédération en Afrique de l’Ouest et dans toute l’Afrique. Nous avons échoué. Toute la balkanisation de l’Afrique vient de là », rappelait aussi Assane Seck, ancien ministre sous le Président Senghor.
« Ce qui a manqué, c ‘est la confiance entre les deux peuples. Le peuple et les dirigeants sénégalais doutaient des Soudanais et le cas était le même du côté soudanais pour les Sénégalais qui tissaient des liens avec la France », a soutenu Pr Tounkara.
« Il fallait alors se donner du temps pour convaincre les uns et les autres du bien-fondé de cette fédération. Expliquer aux deux peuples les avantages de la fédération et les inconvénients d’appartenir à de petites entités. Il fallait sensibiliser, prendre du temps nécessaire pour une bonne sensibilisation », a-t-il regretté.
Senghor et Keita ont été chacun de son côté le premier président de la république de son pays et les deux pays ont gardé la même devise ‘’ un peuple- un but- une foi’’, toujours en cours.