Des membres de la délégation CMA lors du paraphe du projet d’accord de paix par leur représentant Bilal Ag Chérif, le 14 mai 2015 à Alger. (Photo d’illustration) © AFP PHOTO / FAROUK BATICHE

L’accord de paix revient au-devant de l’actualité et fait toujours l’objet de multiples  interrogations à la fois sur son contenu  et  son application. Cet accord signé par IBK, sous la pression de la communauté internationale,  avait provoqué un tollé général chez les maliens. Et nombreux étaient nos compatriotes qui  avaient manifesté  dès le départ leur scepticisme sur son application.  L’histoire  leur donne raison ! L’accord  d’Alger est dans  une impasse totale.

En réalité, l’état dans lequel se trouve cet accord (entre l’Etat et les mouvements armés de Kidal) n’a rien de surprenant, tant il s’est avéré, dès le début du processus avec des termes que tous les observateurs avertis savaient inapplicable.

Ainsi, Sept ans après sa signature, l’accord d’Alger censé apporter la paix et la réconciliation au Mali piétine encore et se heurte à de gros désaccords. Il  est  mis en péril  par  une Coordination de mouvements armés (CMA) aux multiples facettes et un djihadisme en constante reconfiguration.

La signature de l’accord de paix avait elle-même été source de couacs et s’était faite en deux temps. D’abord, le 15 mai 2015, sous les auspices de la médiation internationale, entre le gouvernement malien et les groupes dits à l’époque « loyalistes». Puis, seulement un mois plus tard, avec la CMA qui regroupait les rebelles touaregs. Les hésitations, reports et autres bégaiements déplorés lors de la signature, laissaient déjà entrevoir des difficultés à venir. Aujourd’hui, le processus de paix, à force de lenteur, est en train de s’enliser. Ainsi l’illustrent les difficultés rencontrées pour installer des autorités intérimaires dans les régions de Gao, Kidal, Ménaka, Taoudenni et Tombouctou. Il s’agissait là, pourtant, d’un des premiers maillons de la chaîne forgée par l’accord d’Alger qui, outre l’arrêt des hostilités, redessine le cadre institutionnel au profit d’une plus grande décentralisation et dresse une longue liste de projets de développement destinés aux régions du Nord du Mali. Ces pouvoirs locaux auraient dû être mis en place dans les trois mois suivant la signature de l’accord. La réalité fut toute autre. Ils ont été installés dans la douleur et les affrontements. Au départ, certains observateurs avaient analysé que ce couac relève d’un problème de l’inadaptation de certaines dispositions de l’Accord aux textes fondamentaux de la République. Ces analystes avaient même prôné une remise à plat de l’accord en relevant les points d’imperfection et leur adaptation à la Constitution.

Aujourd’hui encore, ces autorités intérimaires n’existent que de nom. Elles ne fonctionnent guère.

Au même moment, le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), qui doit mettre en commun toutes les forces, piétine. Si les éléments des groupes armés ont été rassemblés à Gao, ce Mécanisme rencontre d’énormes difficultés pour son démarrage. Et les patrouilles mixtes n’ont jamais été effectives .Et pour cause des problèmes logistiques ont compromis ce volet  très important de l’accord.  En plus  bien  d’autres  désaccords entre le gouvernement et la CMA ont bloqué le démarrage des patrouilles mixtes. Autre obstacle : les groupes signataires réclameraient  un statut de soldat pour les éléments des patrouilles mixtes. Une exigence qui avait été jugée inacceptable  par les Autorités maliennes. Un point qui n’est pas encore réglé entre les parties et qui pourrait encore retarder les missions du MOC.

L’Accord de paix prévoit également le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) des combattants ex-rebelles, afin de pacifier le Mali. Si le gouvernement a approuvé les décrets permettant le cantonnement des combattants, puis le lancement du processus DDR,  la mission de l’ONU au Mali a construit des infrastructures destinées à accueillir les combattants. Cependant les conditions d’intégration des ex combattants  dans  l’armée  n’ont pas été  fixées.

Que dire de la mise en œuvre des autres dispositions ?  Pas grand-chose. Leur application impose un changement de Constitution. A cet effet, dans le chapitre 1 du document (article 3), il est souligné que l’Etat prendra les dispositions requises pour l’adoption des mesures réglementaires, législatives voire constitutionnelles nécessaires. Dans le titre II (chapitre 3 article 6) le Mali doit mettre en place une architecture  institutionnelle. Il doit même diligenter la mise en place d’un sénat. Et sur le plan politique, les responsables des régions, les présidents et parlementaires seront élus au suffrage universel. Mais, l’inquiétude est que dans la configuration actuelle, l’accélération d’un genre nouveau de décentralisation comme préconisée aboutirait à une autonomie pure et simple des régions occupées par les rebelles. À preuve, l’article 43 de l’accord donne des droits à ces régions pour promouvoir des projets de coopération transfrontalière. Ce qui veut dire que cette partie du Mali aura sa propre diplomatie synonyme ‘’d’Etat indépendant’’ surtout qu’elle sera dotée d’une police territoriale

Un autre facteur du blocage est dû à ce qui s’apparente à une impuissance du Comité de suivi. Après un début de mise en place difficile où des groupes rebelles refusaient de siéger en même temps que d’autre dans le même comité, le comité de suivi, avec plus d’une vingtaine de réunions, ne fait que constater les manquements. Il peine à imposer la direction à suivre à l’Etat et aux parties signataires. Les querelles de clochers entre groupes rebelles sont condamnées, mais pas plus.

En outre l ’Accord propose de remplacer l’Armée nationale. En effet, son Article 17 prévoit « une représentation significative de toutes les populations du Mali au sein des forces armées et de sécurité». Autrement dit, chaque communauté ou ethnie aura ses représentants dans la « nouvelle armée«. Or, l’expérience du Pacte national (1992) n’est pas encourageante : un millier « d’intégrés » ont déserté et rejoint la rébellion en 2012 !

La nouvelle armée devrait aussi « inclure un nombre significatif de personnes originaires des régions du Nord, y compris dans le commandement » (Art.22). Enfin, l’Annexe-2 de l’Accord stipule que  » les membres des mouvements, anciennement officiers des forces armées et de sécurité, seront réintégrés au moins aux mêmes grades « .a

Autre grief concernant l’accord : l’Article-16 de l’Accord, il  précise : concernant les emplois dans les Collectivités territoriales du Nord,  » les effectifs seront majoritairement réservés aux ressortissants des régions du Nord  » ! Explication : les emplois au Nord-Mali seront réservés aux populations du Nord ; ces mêmes « populations du Nord » auront droit à un plus grand pourcentage des emplois au niveau national !

Dans une publication dans nos colonnes (L’Aube, 28 mai 2015) Dr Brahima Fomba, professeur  de droit,  avait indiqué que ces dispositions  sont en contradiction flagrante avec l’Article 2 de la Constitution  qui consacre que  tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs, et prohibe toutes les formes de discrimination.

Le document de l’accord de paix d’Alger donne aussi  un certain pouvoir aux cadis, ces juristes traditionnels chargés d’introduire des lois islamiques. Pour des voix critiques, c’est une victoire des groupes islamistes qui ont accepté le processus de dialogue. Mais les défenseurs des droits de la femme sont inquiets d’une possible dérive vers l’application de certaines règles de la Charia. Toutefois, les cadis ne devront être consultés par les juges que pour les affaires civiles.

L’accord est contesté jusque dans les propositions économiques qu’il fait. En effet l’article 33 du document dispose : «Il est créé une zone de développement des régions du Nord, dotée d’un Conseil consultatif interrégional constitué des représentants des Assemblées régionales concernées et chargé exclusivement de la coordination des efforts de la mutualisation des moyens en vue d’accélérer le développement socio-économique local et d’autres questions connexes ».

Cette zone de développement est taillée sur mesure pour donner corps au projet de création d’une entité politique, analyse  Souleymane Koné, ancien diplomate. En clair, cette disposition inspire une crainte largement partagée. Les Maliens estiment de façon générale que l’accord comporte de nombreuses dispositions constituant des voies détournées pour aboutir à la création d’une entité autonome dans le septentrion malien.

Autres points de discordes  que propose le document de l’accord : l’accession des chefs traditionnels et de tribus à des responsabilités politiques. C’est la résurgence d’une pratique coloniale, celle de la désignation des chefs de canton. Sauf que pour le cas présent, ces représentants des pouvoirs traditionnels seront représentés au sein d’un nouvel organe: une deuxième chambre qui doit être créé pour la circonstance. L’accord d’Alger se résume finalement à un accord de cessez-le-feu.

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