Les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont réunis en session ordinaire, le 4 décembre 2022, à Abuja, pour débattre de la situation du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée tous en transition militaire, sur la base des rapports que les médiateurs désignés par l’organisation sous-régionale pour ces trois pays, leur ont présentés.
Mais avant d’aborder ces questions de fond, ce 62e sommet a été marqué par une cérémonie sobre de prestation de serment du tout nouveau président de la Commission, le Gambien Omar Aliou Touré, nommé à ce poste le 3 juillet dernier en remplacement de l’Ivoirien Jean Claude Kassi Brou.
Après cette investiture à huis clos, les chefs d’État ont planché sur le déroulement de la transition dans les trois pays de la sous-région, théâtres de coups d’État, afin de s’accorder une bonne fois pour toute sur leurs durées respectives, et d’ouvrir le chemin à un retour constitutionnel normal et durable. Les cas du Mali et du Burkina ont particulièrement retenu l’attention des participants, d’autant que ces deux pays sont englués depuis plusieurs années dans des problèmes sécuritaires qui se sont métastasés et ont engendré une série de putschs dont il est difficile malheureusement de prédire la fin.
Le Mali a ouvert le bal avant que la contagion kaki ne gagne la Guinée et le Burkina Faso
Quand le feu du terrorisme s’est engouffré dans les hameaux nichés dans les sables mouvants du Sahel, il y a une décennie en effet, les dirigeants des pays de la CEDEAO aujourd’hui ravagés par les flammes, n’avaient pas pris la mesure du danger, et s’étaient contentés des analyses de canapé que leur produisaient leurs thuriféraires, sur fond de déni et de complaisance coupable, laissant les navires malien et burkinabè chavirer allègrement sur l’océan du mensonge et de la propagande contre des ennemis politiques supposément revanchards, proches de leurs prédécesseurs respectifs. Les pays de la CEDEAO avaient, en son temps, déployé des troupes pour circonscrire le phénomène au Mali, mais force est de reconnaître que dix ans après, ces efforts n’ont quasiment servi à rien, d’autant que le danger s’est aujourd’hui joué des frontières pour s’installer dans presque tous les pays de la communauté.
Pendant que les terroristes grignotaient des pans entiers du Mali, du Niger et du Burkina, il n’y a eu malheureusement personne pour rappeler aux dirigeants de la CEDEAO et de ces pays en crise qui dormaient probablement pendant que Max Alexis martelait qu’« une jeune guerre est généralement engendrée par une vieille rancune », sauf les militaires qui ont fait irruption à coup de canon dans l’arène politique pour démettre les présidents élus et s’emparer du pouvoir, afin de rétablir la sécurité et de réparer les torts et les injustices. Comme dans une sorte d’effet domino ou de loi des séries, le Mali a ouvert le bal avant que la contagion kaki ne gagne la Guinée et le Burkina Faso.
Ce soixante-deuxième sommet de la CEDEAO avait justement dans son agenda de faire partir, au terme de leur mandat, les trois officiers-présidents qui sont considérés par une bonne partie de leur opinion publique, comme des Sherpas de l’intégrité et de la bonne gouvernance, avant qu’il ne leur vienne en tête, pour certains d’entre eux, de proroger leur bail à la tête de leurs États respectifs à la fin des délais impartis pour la transition.
Reste à savoir si, malgré les sanctions, la CEDEAO pourra faire entendre raison à ces militaires dont certains présentent déjà des velléités de « momification » au pouvoir, poussés en cela par des soutiens indéfectibles qui exigent désormais que toute information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.
La question qui est loin d’être tranchée est celle de la création de la monnaie unique
Ces appels au musellement ou à l’omerta s’accompagnent souvent d’un ton particulièrement dur. On pourrait les comprendre et à la limite, les tolérer si l’objectif in fine est de trouver des solutions durables, notamment à la crise sécuritaire dans ces pays déjà polytraumatisés, et si ces appels ne sont pas révélateurs de manœuvres dictatoriales « d’anarcho-spontanéistes » visant à faire la part belle à des amis politiques ou militaires. Espérons que ces derniers n’ignorent pas l’aphorisme de Charles Péguy, selon lequel « le règne des populismes est éphémère, mais les ruines de leurs actions sont éternelles ». Il y a donc lieu de prévenir ou même d’enrayer ce risque d’engrenage qui pourrait ouvrir la porte à d’autres putschistes dans d’autres pays de la sous-région. Mais ce n’est malheureusement pas sur la CEDEAO qu’il faut compter simplement parce qu’elle s’est discréditée depuis qu’elle a fermé les yeux sur ces affaires de troisièmes mandats qui ont eu cours, ici et là, en Afrique de l’Ouest ces dernières années.
C’est d’ailleurs conscients de ce handicap que les dirigeants ouest-africains, réunis à Abuja, ont été plutôt conciliants vis-à-vis de la très frondeuse République du Mali qui semble avoir résolument pris le chemin du retour à l’ordre constitutionnel normal. Mais aussi vis-à-vis de la Guinée qui n’a pas été sanctionnée malgré le bras de fer qui persiste entre le régime du longiligne colonel Mamady Doumbouya et l’instance sous-régionale par rapport à la date de l’élection présidentielle qui devrait marquer la fin de la transition. La Guinée n’étant pas membre de l’UEOMA et ayant un débouché sur la mer, lui imposer des sanctions économiques serait comme donner un coup d’épée dans l’eau, et écornerait davantage l’image de cette CEDEAO qui a perdu beaucoup de plumes dans son « acharnement » contre le Mali.
Quant au pays des Hommes intègres, il est toujours considéré comme le moins mauvais de ceux qui ont prématurément mis un terme à un régime constitutionnel, et c’est pour cette raison que ce sommet ordinaire d’Abuja s’est borné à encourager ses dirigeants à respecter la date du 24 juillet 2024 comme date-butoir pour passer le pouvoir aux civils.
Si la fin des « pouvoirs kaki » et du terrorisme en Afrique de l’Ouest ont été les principales préoccupations des chefs d’État à Abuja, d’autres sujets ont été également évoqués comme l’affaire des 46 soldats ivoiriens détenus au Mali depuis plusieurs mois, qui n’en finit pas de parasiter les relations entre Bamako et Abidjan. Heureusement que cette crise devrait être bientôt derrière nous, si l’on en croit une source bien au parfum du dossier, du moins s’il n’y a pas de rétropédalage de l’un des protagonistes, comme ce à quoi on a déjà assisté depuis le début de cette scabreuse affaire.
La question qui est par contre loin d’être tranchée est celle de la création de la monnaie unique, qui nécessitera vraisemblablement plusieurs autres sommets du genre pour que les chefs d’État puissent accorder leurs violons, alors que de plus en plus, les peuples exigent une monnaie unique et la fin du CFA considéré comme l’un des derniers vestiges de la colonisation