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En critiquant ouvertement la stratégie militaire française et en rejetant le calendrier électoral imposé par la Cédéao, le gouvernement malien compte affirmer son libre arbitre et se poser en défenseur des intérêts de son peuple. Une stratégie qui divise dans le pays, suscitant une forme d’engouement mais également des craintes.
Des accusations « inacceptables » et « indécentes ». Lundi 27 septembre, la ministre française des Armées, Florence Parly, n’a pas mâché ses mots pour dénoncer les propos du Premier ministre malien Choguel Kokalla MAÏGA. Samedi, devant l’Assemblée générale de l’ONU, ce dernier avait qualifié la fin de l’opération Barkhane d’ »abandon en plein vol ». Depuis plusieurs semaines, le torchon brûle entre Paris et Bamako à la suite de rumeurs d’un possible accord entre les autorités maliennes et le groupe paramilitaire russe Wagner. Alors que Paris juge la participation éventuelle de miliciens russes incompatible avec l’engagement français au Sahel, le Mali se pose en État souverain libre de diversifier ses alliances militaires s’il le souhaite.
Vis-à-vis de ses partenaires africains, Bamako tient désormais le même discours, rejetant toute forme d’ingérence. Alors que le gouvernement de transition, nommé après le coup d’État militaire du 18 août 2020, s’était engagé à organiser des élections dans une période de 18 mois, le Premier ministre Choguel Kokalla MAÏGA a évoqué, lors d’un entretien avec France 24, la possibilité d’un report du scrutin. Il estime que l’échéance fixée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne correspondait pas à la réalité malienne.
Qu’espère obtenir le gouvernement de transition en s’engageant dans un conflit frontal avec ses partenaires ? Décryptage.
Le deuxième coup d’État, « un tournant »
Si les tensions entre la France et le Mali éclatent aujourd’hui au grand jour avec le dossier Wagner, elles ne datent pas d’hier. L’inexorable dégradation de la situation sécuritaire du pays malgré l’opération antiterroriste Barkhane, engagée en 2014 par la France au Sahel, suscite depuis plusieurs années de vives critiques au sein de la population malienne. Sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta déjà, des manifestations antifrançaises avaient éclaté à plusieurs reprises, au point que le président français Emmanuel Macron avait jugé opportun de faire une mise au point, à Pau, le 13 janvier 2020, sommant les dirigeants régionaux de s’exprimer sur la question.
Dans ce contexte sécuritaire complexe, l’arrivée des militaires au pouvoir par le coup d’État d’août 2020 a suscité à Paris un mélange de méfiance et de prudence. Si la France s’est fendue d’une condamnation de principe, elle a préféré miser sur la continuité, estimant que la priorité devait demeurer la lutte contre le terrorisme. Un fragile équilibre, bouleversé par le deuxième putsch du 24 mai 2021, au cours duquel les militaires ont repris la main sur le gouvernement de transition qu’ils avaient eux-mêmes mis en place.
« À leur arrivée aux commandes, les officiers étaient des novices en politique et ils se sont pliés aux exigences de la communauté internationale. Mais très vite, ils ont compris qu’ils avaient une carte à jouer et pouvaient insuffler une orientation différente à la politique malienne », décrypte Mohamed Ag Assory, analyste malien, expert en communication politique et fondateur du cabinet Tidass Strategies Consulting. « Le deuxième putsch a marqué un réel tournant avec l’accession d’Assimi Goïta à la fonction de président de la transition et la nomination du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. Ce dernier, connu pour ses positions patriotiques, était l’une des figures de proue des manifestations anti-IBK. Alors que le mouvement de protestation avait été largement ignoré par la communauté internationale, son arrivée au pouvoir constitue une revanche politique face aux alliés du Mali. »
Quelques semaines après le deuxième coup d’État, Emmanuel Macron annonce, le 10 juin 2021, la fin de l’opération Barkhane et le redéploiement des troupes françaises vers le Niger, désormais jugé comme un allié plus fiable. Une annonce perçue comme un affront par le nouveau gouvernement malien.
Tensions régionales
Dans ce contexte, les rumeurs d’un accord entre le gouvernement malien et le groupe paramilitaire russe Wagner, révélées par voie de presse mi-septembre, ont mis le feu aux poudres. Dans la région, la nouvelle crée également des remous. Car si Bamako a vu son pouvoir conforté par plusieurs autres coups d’État militaires, notamment au Tchad et plus récemment en Guinée, la junte malienne suscite toujours la méfiance de bon nombre de ses voisins. C’est notamment le cas du Niger qui, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, a vertement critiqué la possibilité d’un accord avec le groupe Wagner et appelé les dirigeants maliens à respecter les délais de la transition fixés par la CEDEAO. En réponse, le régime malien a publié un communiqué dénonçant des propos « inacceptables, inamicaux, et condescendants ».
« La junte malienne considère que les expériences passées ont prouvé que les élections ne permettent pas de régler les problèmes de la population », souligne Aly Tounkara, sociologue et directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S). « Cette vision qui consiste à chercher la légitimité à travers l’efficacité et la pertinence des actions va à l’encontre de celle de ses alliés, pour qui les élections démocratiques doivent servir de base à la mise en place de réformes. »
Déjà suspendu des organismes de décision de l’Union africaine et de la CEDEAO, le Mali pourrait également se voir imposer de nouvelles sanctions économiques. Après le premier coup d’État, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest avait imposé un embargo qui avait durement affecté les finances du pays. Une situation que certains craignent aujourd’hui de voir se reproduire, alors que le gouvernement envisage de décaler la date des élections. « Ces sanctions avaient généré beaucoup de critiques car les économies de la région sont interdépendantes et les mesures avaient eu des répercussions néfastes sur plusieurs pays », souligne Mohamed Ag Assory. « Si la CEDEAO s’est jusqu’ici gardée de réimposer de telles sanctions, cette possibilité demeure néanmoins une menace. En envisageant de décaler les élections, la junte joue avec le feu », juge l’analyste.
Un calcul politique risqué ?
Alors que les relations internationales du pouvoir malien se sont significativement dégradées ces derniers mois, ses déclarations souverainistes trouvent un écho certain parmi une frange de la population malienne, notamment sur les réseaux sociaux, où les velléités d’Indépendance du pouvoir sont saluées par de nombreux messages de soutien. Le 22 septembre, des milliers de personnes ont manifesté à Bamako en faveur des militaires et contre l’ingérence des puissances étrangères. « La soif d’indépendance et la méfiance grandissante vis-à-vis des partenaires internationaux est un phénomène réel », souligne Mohamed Ag Assory. « Mais il faut bien comprendre que ce mouvement émane principalement des citadins, peu affectés par la crise sécuritaire, alors que 80 % des Maliens vivent en milieu rural et n’ont pas les moyens de faire valoir leur point de vue. À ce titre, on peut se demander si la ligne souverainiste dure incarnée par la junte reflète réellement les aspirations du peuple dans sa globalité. »
« Beaucoup de Maliens ont le sentiment que leur pays est maintenu à l’écart des décisions dans la lutte contre le terrorisme et considèrent que la reconquête de l’intégrité du territoire par l’État doit être une priorité », analyse Aly Tounkara. « Pour la junte, s’attaquer à un tel chantier lui permet de s’inscrire dans le temps long comme un acteur politique indispensable et de reléguer les élections au rang des questions accessoires. Mais si les Maliens adhèrent au principe de souveraineté, la gestion de cette question par la junte et les tensions qu’elle génère suscitent également des craintes parmi la population. Il ne faut pas être naïf, dans cette lutte contre le terrorisme, la France joue aussi son influence dans la région », poursuit Aly Tounkara. « Si des sociétés privées et les troupes maliennes parviennent à remporter quelques victoires, cela pourrait encore renforcer le sentiment antifrançais et nuire aux intérêts de Paris. Mais de son côté, Bamako, en s’affranchissant de la France et de ses alliés régionaux, prend le risque de se retrouver sans partenaires fiables, ostracisé, encore un peu plus, dans la lutte antijihadiste au Sahel. Cela provoquerait une déception énorme, à la hauteur des espoirs que la junte suscite parmi la population. »
Source: France 24