Depuis la mise en place de sanctions par la CEDEAO, la France ne relâche plus la pression sur la junte malienne. Une nouvelle étape dans les tensions entre les deux pays déjà vives depuis plusieurs mois.
Alors que le climat était déjà délétère entre Paris et Bamako depuis plusieurs mois, la tension est montée à nouveau d’un cran entre les deux pays. En cause, la mise en place des sanctions décidées le 9 janvier par la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et soutenues par la France : la fermeture des frontières avec le Mali et un embargo commercial et financier.
Les dirigeants de l’organisation Ouest-Africaine ont opté pour la manière forte après l’annonce par la junte du report des élections présidentielle et législatives, pourtant promises le 27 février. Une manière pour le colonel Assimi GOÏTA arrivé au pouvoir par un coup d’État le 25 mai 2021, de signifier qu’il comptait conserver le pouvoir pendant plusieurs années.
Depuis, Paris ne relâche plus la pression. Mercredi 12 janvier, elle est allée plus loin annonçant que la compagnie Air France suspendait ses liaisons avec le pays jusqu’à nouvel ordre. Alors que la France assure la présidence semestrielle tournante de l’Union européenne, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a assuré que les 27 préparaient eux aussi une série de mesures.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a réclamé jeudi au gouvernement malien « un calendrier électoral acceptable » tout en indiquant espérer « entrer en contact rapidement avec le gouvernement malien ».
En parallèle, à Bamako, la junte appelle les Maliens à descendre dans la rue vendredi, orchestrant autour de la défense de la patrie les multiples protestations contre les sanctions ouest-africaines et les pressions internationales, et en premier lieu, de la France.
Antoine Glaser, co-auteur du livre « Le Piège africain de Macron », aux éditions Fayard, revient sur la dégradation des relations entre deux pays ces derniers mois et les conséquences de ce nouvel épisode pour la France au Mali et au Sahel.
Depuis l’annonce des sanctions de la CEDEAO contre le Mali, de nombreux messages ont été publiés sur les réseaux sociaux critiquant ouvertement la France. Existe-t-il effectivement un fort ressentiment antifrançais dans le pays ?
Antoine Glaser : En Afrique, la France vit dans une sorte d’anachronisme historique. Alors que le continent se mondialise, la présence militaire française donne l’impression, à toute une partie de la population, que Paris veut toujours tirer les ficelles d’une ‘Françafrique à l’ancienne’. Et cela est de moins en moins bien accepté par la jeunesse malienne, et plus généralement par l’ensemble de la jeunesse africaine.
D’ailleurs, c’était la raison d’être du sommet organisé à Montpellier par Emmanuel Macron. En invitant uniquement des membres de la société civile et en écartant les chefs d’État, il espérait désamorcer ce mécontentement citoyen en prenant à rebours l’image de cette Françafrique.
Évidemment, dans le contexte des sanctions de la CEDEAO, il ne faut pas négliger l’instrumentalisation de ce sentiment antifrançais par les autorités de Bamako qui exacerbent le nationalisme et font de la France le coupable idéal. Sans oublier l’instrumentalisation de la Russie qui veut se faire sa place sur le continent.
Les relations entre la France et le Mali étaient déjà tendues depuis plusieurs mois. Quelle est la stratégie d’Emmanuel Macron avec Bamako ?
Selon moi, au Mali, la France paie le prix de sa propre ambiguïté. La position officielle du Quai d’Orsay est de dire qu’elle ne veut plus être en première ligne des affaires internes africaines et que sa seule mission est la lutte contre le jihadisme.
La rencontre avortée entre Emmanuel Macron et Assimi GOÏTA en décembre, illustre bien cette stratégie. Le chef de l’État avait refusé de venir seul et il avait demandé à être accompagné de soutiens africains. Il voulait montrer qu’il n’était pas en première ligne et se protéger derrière la CEDEAO. C’est d’ailleurs en grande partie pour cela que la réunion a été annulée.
Pourtant, lorsqu’on parle du Mali, en raison de sa diplomatie d’influence, la France se retrouve toujours à la tête de toutes les discussions. La raison est simple : sa puissance militaire et sa présence en Afrique, c’est ce qui fonde son autorité sur la scène internationale. Sans l’Afrique, la France est affaiblie. Elle se retrouve ainsi prise au piège dans ce jeu d’équilibriste entre intérêts africains et intérêts internationaux.
Et la prise de fonction de la France à la présidence de l’Union Européenne renforce encore ce phénomène. Surtout que, depuis des mois, Emmanuel Macron essaie d’impliquer un maximum de pays européens dans la lutte antiterroriste en Afrique via la force Takuba [force opérationnelle composée principalement d’unités des forces spéciales de plusieurs pays de l’Union européenne, NDLR].
Avec les sanctions de la CEDEAO, risque-t-on d’assister à une escalade des tensions ?
Dans cet imbroglio politico-militaro-diplomatique, la situation va devenir objectivement très difficile pour le Quai d’Orsay. Cela s’est d’ailleurs déjà vu aujourd’hui [jeudi 13 janvier, NDLR] avec le vol aller-retour d’un avion A400M de l’opération Barkhane, entre la Côte d’Ivoire et le nord du Mali. Bamako est monté au créneau assurant que cela violait l’interdiction de survol de son espace aérien, décidée en réaction aux sanctions. La France a fait valoir que les vols militaires n’étaient pas concernés par les mesures mais l’épisode sonne bien comme un avertissement.
D’ailleurs, on peut se demander comment l’opération Barkhane va pouvoir perdurer. Déjà parce qu’elle n’a pas d’autre choix, dans ce territoire immense, que d’avoir recours à des moyens aériens mais aussi parce que le déploiement des mercenaires russes du groupe Wagner pose beaucoup de questions opérationnelles.
Dans ce contexte, la France ne devrait-elle pas accélérer le retrait de ses troupes du pays ?
La France ne prendra pas cette décision à trois mois de l’élection présidentielle alors que la situation sécuritaire du pays s’est encore dégradée. Elle veut à tout prix éviter une débâcle à l’afghane.
Il faut bien comprendre que, dans cette histoire, chaque pays sert ses propres intérêts. Certains membres de la CEDEAO craignent d’avoir un coup d’État dans leur propre pays. L’Algérie aussi, soutient les sanctions qu’a demi-mot. Chacun a son propre agenda avec lequel il compose.
Est-ce que les sanctions de la CEDEAO pourraient encore dégrader l’image de la France dans les autres pays de la région ?
C’est évident, il risque d’y avoir un effet boomerang. Le sentiment antifrançais existe déjà dans l’ensemble des anciennes colonies et il est particulièrement fort au Sahel. Preuve en est, on se souvient de ce convoi de l’opération Barkhane qui a été pris d’assaut en novembre alors qu’il allait de la Côte d’Ivoire au nord du Mali.
Les sanctions de la CEDEAO vont aussi avoir des conséquences très néfastes pour les voisins du Mali. Le Sénégal, par exemple, compte beaucoup sur ses relations commerciales avec Bamako. Toute une partie de son commerce est désormais à l’arrêt. Bien sûr que les opposants sénégalais pourront utiliser cela dans un discours idéologique et, par conséquent, participer à dégrader encore l’image de la France.