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Au sommet Afrique-France vendredi, de jeunes africains, invités à débattre avec le président français lors d’un panel, l’ont sérieusement « bousculé » en l’interpellant sur des questions liées au franc CFA, au Sahel, à la « France Afrique » ainsi qu’à l’aide au développement. Qui sont-ils, qu’ont-ils dit au chef d’Etat français et qu’a-t-il répondu ?
Ragnimwendé Eldaa Koama, Burkina : « Si la relation entre les pays d’Afrique et la France était une marmite, sachez qu’elle est très sale, cette marmite »
Coach et formatrice, Ragnimwendé Eldaa Koama est une Burkinabè, titulaire d’un master en management des systèmes informatiques et d’une licence en ingénierie des travaux informatiques, elle est entrepreneure dans le domaine de l’évènementiel.
Son discours au président français s’est voulu « sans filtre » et plein de formule imagée : « si la relation entre les pays d’Afrique et la France était une marmite, sachez qu’elle est très sale, cette marmite. Elle est sale de reconnaissance légère des exactions commises, elle est sale de corruption, de non transparence, de vocabulaire dévalorisant, elle est sale, monsieur le Président ! Je vous invite à la récurer ».
La jeune dame s’est également insurgée contre le terme « aide au développement ».
« Cela fait près d’un siècle que votre aide au développement se balade en Afrique. Ça ne marche pas. Sachez que l’Afrique se développera par elle-même, par le potentiel local et celui de la diaspora et certainement dans l’interdépendance avec les autres nations de la planète, mais surtout à travers des collaborations saines, transparentes, constructives. Il y a des têtes bien faites, il y a des investisseurs aussi en Afrique. Nous innovons déjà en Afrique. Et si ce n’est pas constructif dans cette relation qu’on imagine, on n’en veut pas ».
Adam Dicko, Mali : « Sans les Africains, il n’y aurait pas eu de France »
L’activiste malienne Adam Dicko axe son discours sur la responsabilité de la France au Sahel dénonçant un discours « paternaliste ».
« Monsieur le Président, vous dites tout le temps que sans l’intervention de la France, il n’y aurait pas de gouvernement au Mali. Sachez bien que sans l’Afrique, la France n’existerait pas. Nous sommes liés par l’histoire et vous devez cesser de faire croire que vous voulez aider les Africains. Nous devons plutôt parler de partenariat. L’Afrique n’est pas un continent de misère ou de chômage, mais un continent jeune, optimiste, enthousiaste », assène-t-elle.
Sur la question de l’intervention française au Mali, elle dit : « la présence de la France au Sahel est la conséquence de l’intervention de la France en Libye qui à l’époque a ignoré l’Union africaine » rappelle Adam Dicko à Emmanuel Macron.
Cheikh Fall, Sénégal : « Arrêtez de renforcer le pouvoir des dictateurs africains »
Blogueur sénégalais et président d’Africtivistes, la Ligue des blogueurs et Web activistes pour la démocratie, une organisation panafricaine « de jeunes acteurs de changements qui utilisent le numérique pour impacter leur communauté et pour favoriser de nouvelles dynamiques », Cheikh Fall a appelé Macron à un exercice de contrition en six points.
« Monsieur le président, je vous invite ce soir, ici chez vous, a un exercice d’humilité, de courage politique, de respect et de rendez-vous avec l’histoire ».
1. Demandez pardon à l’Afrique et aux Africains.
2. Arrêtez de renforcer le pouvoir des dictateurs africains.
3. Arrêtez cette-pseudo coopération paternaliste.
4. Programmez un dispositif de retrait progressif et défini de vos bases militaires en Afrique.
5. Mettons ensemble un mécanisme de collaboration franche afin de renforcer les acquis démocratiques.
6. Mettez en œuvre vos engagements d’Abidjan de 2019 sur la réforme du Franc CFA et transférez les réserves de fonds vers l’Afrique.»
Aliou Bah, Guinée : « Nous n’avons pas la même perception de ce qu’on appelle ‘régime démocratique »
Leader du Mouvement démocratique libéral (Model), un parti politique guinéen, Aliou Bah aborde la question du 3ème mandat dans les pays francophones d’Afrique.
« Je ne vous demande pas vous occuper de nos dictateurs. Nous le faisons et continuerons de le faire. Moi je viens d’un pays, la République de Guinée, qui vient de se débarrasser de quelqu’un qui voulait mourir au pouvoir », dit le Guinéen.
Il appelle Macron à ne pas « collaborer et considérer comme étant un interlocuteur quelqu’un qui utilise des manières subversives, les tripatouillages constitutionnels pour rester au pouvoir, n’en faites pas un partenaire ».
Selon lui, aussi longtemps qu’on va continuer à traiter cette question au cas par cas, on ne s’en sortira pas.
Qu’a répondu Macron ?
Le président français reconnaît « la responsabilité immense de la France car elle a organisé le commerce triangulaire et la colonisation », mais s’est refusé à demander pardon, privilégiant « un travail de vérité » et non de « honte de soi et de repentance ».
« Nous avons une dette envers l’Afrique », « un continent qui fascine le monde entier, qui parfois en effraie d’autres », dit-il.
En ce qui concerne le Mali, il a réitéré une position déjà exprimée par les autorités françaises relative au retrait de la force militaire Barkhane.
« La France n’a pas vocation à rester dans la durée au Mali. C’est pour ça que nous sommes en train de fermer des bases. À Tessalit ou à Kidal (nord du Mali), notre travail n’est pas d’avoir des bases militaires. Ce que je veux, c’est qu’on retire les bases militaires le plus vite possible, mais ça suppose un retour d’un État fort et des projets d’investissement, pour que les jeunes ne se tournent pas, dès que les groupes terroristes reviennent, vers le pire », précise-t-il.
Sur la question du 3ème mandat, le chef d’Etat français interpelle directement le représentant de la Guinée.
« Le 3e mandat dans votre pays, je l’avais condamné avant, au moment et après des élections. Je l’avais condamné publiquement dans toutes mes déclarations », dit-il.
Et d’ajouter : « qu’est-ce je pouvais faire d’autre ? Nous ne pouvions pas faire d’intervention ou d’ingérence. On a réduit beaucoup la coopération gouvernement-gouvernement pour la remettre vers des ONG, des associations et autres. Sur le coup d’Etat, on a soutenu la position de la CEDEAO »