Après presque 20 mois de Transition, Dr. Ibrahima Sangho, président de l’Observateur pour les Elections et la Bonne Gouvernance au Mali fait un regard rétrospectif des 20 mois écoulés de la Transition. Il s’est penché aussi sur les futures élections et comment promouvoir la démocratie, la bonne gouvernance et l’alternance politique au Mali. Entretien.

 Mali Tribune : Quel bilan dressez-vous de cette Transition après 20 mois d’exercice ?

Dr. Ibrahima Sangho : le bilan qu’on peut faire après 20 mois d’exercice, n’y a pas eu d’avancée notable concernant la Transition. Quand on se réfère au délai de la Transition qui est contenu dans la Charte de la Transition à savoir : la sécurisation des personnes et leurs biens sur l’ensemble du territoire ; les réformes politiques et institutionnelles ; la promotion de la bonne gouvernance. Disons que seul le côté sécurité qui a connu une petite avancée. Il y a eu des actions de l’armée pour essayer de sécuriser le territoire même si on regrette le fait que la sécurisation n’a pas été accompagnée par la présence des services sociaux de base. Si on prend des localités comme Mourrah qu’on peut citer dernièrement certes, l’armée a fait des actions mais les services sociaux de base ne sont pas retournés. Ni la gendarmerie moins encore moins la police n’est retournée dans cette localité. Ce qui fait que ce sont des conquêtes fragiles. Si on prend les réformes politiques et institutionnelles, il n’y a pas eu d’avancée. Quand on se réfère au premier gouvernement de Moctar Ouane, les 9 premiers mois, toute la classe politique et la société civile avaient convenu qu’il y ait un Organe unique de gestion des élections et on avait donné un délai pour mettre cela en place. Avec le deuxième gouvernement de Choguel K. Maïga, nous avons vu qu’il n’y a pas de consensus nécessaire pour la mise en place de cet Organe unique. Même après l’organisation des Assises nationales pour la Refondation de l’Etat (ANR) nous ne voyons pas d’avancée. Même le projet de loi qui est sur la table du CNT, il n’y a pas de consensus. Même si demain on doit organiser les élections, on ne sait pas sur quelle base on va organiser ces élections. Si c’est à la base de l’existant, c’est-à-dire le ministère de l’Administration territoriale et la Décentralisation, la CNI et la Direction générale de Elections ou c’est l’Organe unique. Dans tout le cas, l’Organe unique de Gestion des Elections est rejeté par la majorité de la classe politique. On ne sait pas jusqu’à présent quel est le cadre juridique qui va servir pour les élections de fin de Transition.

Mali Tribune : en fixant le délai de la Transition à 24 mois, le Premier ministre a affirmé que les autres 12 mois seront consacrés aux élections. Comment organiser des élections libres et transparentes ?

Dr. I. S. : pour le moment, c’est un flou. Le flou, c’est qu’au lendemain des Assisses nationales le gouvernement a voulu avoir un délai de 5 ans avec la Cedeao pour organiser 7 élections (référendum, législatives, sénatoriales, locales pour les Conseillers de cercle, régionales pour les Conseillers régionaux et présidentielles). Si on prend un délai de 5 ans, on pouvait organiser ces 7 grandes élections. Après on a vu que le délai de 5 ans est revenu à 4 ans et le gouvernement est resté avec les mêmes prestations d’organiser ces 7 grandes élections. Après, ils sont revenus à 3 ans pour dire qu’ils vont organiser ces 7 grandes élections et pour revenir à 24 mois pour dire qu’on va organiser ces 7 élections. Pour organiser ces 7 grandes élections en l’espace de 24 mois et même ces 24 mois ne sont pas actés par la Cedeao. Tout le monde voit qu’il y a des émissaires qui ont été envoyés au Togo pour voir auprès des chefs d’Etat de la Cedeao la levée de l’embargo et un nouveau délai de la Transition. Pour nous, le plus important, c’est de savoir quel est le chronogramme qu’on met dans les 24 mois ? Quelles sont les activités qu’on pourrait mener avant la fin des 24 mois ? Tout cela n’est pas défini pour le moment. Personne ne sait aujourd’hui quel est le chronogramme électoral. Si on prend l’organisation des élections présidentielles et législatives, ce qui est sûr on n’a pas besoin de 16 mois ou 24 mois. Dans l’espace de 12 mois on peut organiser les élections présidentielles et législatives. Mais si on veut faire la réforme constitutionnelle, ça devient un autre sujet parce que le référendum a toujours posé des problèmes au Mali. On se rappelle qu’Alpha Oumar Konaré avait essayé de faire le référendum, il n’a pas pu alors qu’il a été démocratiquement élu. Ensuite d’autres présidents démocratiquement élus ont tenté de le faire comme feu ATT et IBK. Si une Transition veut faire un référendum ça ne sera pas facile parce que la Constitution qui est en vigueur dit qu’il faut que l’Assemblée nationale autorise pour aller au référendum et un président légitimement élu… Aujourd’hui toutes ces conditions ne sont pas réunies. C’est qu’il faut aujourd’hui, c’est d’abord un consensus politique non seulement avoir un délai avec la Cedeao et puis à l’intérieur du Mali un consensus politique. Sans consensus politique on ne peut rien faire. Lancer à l’air des délais comme ça n’a pas beaucoup de sens.

Mali Tribune : Selon vous faut-il coupler les élections comme le Burkina l’avait fait tout dernièrement ?

Dr. I. S. : La question mérite d’être posée. On peut faire des élections couplées. Pour l’histoire, au Mali la seule fois où il y a eu des élections couplées, c’est lors des législatives de Bougouni et ce n’est pas sur l’ensemble du territoire. C’était les élections communales de 2009 qui ont été couplées à une élection législative et c’était dans la circonscription de Bougouni parce que le député qui avait été élu est décédé, donc il a fallu coupler l’élection législative pour remplacer ce député avec les élections communales. Excepté le cas de Bougouni, le Mali n’a jamais connu des élections couplées de grande nature. Mais il est possible de faire des élections couplées parce la sous-région le fait. Le Burkina l’a fait. Mais pour faire des élections couplées, il faut beaucoup de préparation, de sensibilisation pour expliquer aux gens le mécanisme à suivre que si on rentre dans le bureau de vote, c’est pour prendre 2 bulletins au lieu d’un seul.

Mali Tribune : En tant que président de l’Observateur pour les Elections et la Bonne Gouvernance au Mali, comment promouvoir la démocratie, la bonne gouvernance et l’alternance politique au Mali ?

Dr. I. S. : pour nous, promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance au Mali, c’est l’affaire de tout le monde en commençant par les partis politiques. Si on voit cette succession des coups d’Etat en République du Mali, c’est la faute quelque part des partis politiques. A ce niveau, je peux donner 2 exemples concrets. Le 1er exemple, en 2018 quand la Cour constitutionnelle a prorogé le mandat des députés de 6 mois, cela n’est pas permis par la Constitution. C’est comme un coup d’Etat civil qui a été opéré. En 2019, quand le gouvernement sous l’avis de la Cour constitutionnelle a prorogé le mandat des députés, cela ressemble aussi à un coup d’Etat civil, c’est contre les règles de la démocratie, la bonne gouvernance et de l’alternance politique. Les élections doivent avoir lieu aux dates indiquées. Si on ne tient pas les élections aux dates indiquées, cela veut dire qu’on est en train de faire la promotion de la médiocrité, ça veut dire qu’on ne veut pas l’alternance politique. Or l’alternance politique veut que les élections aient lieu aux dates indiquées. Il faut que les gouvernants et les acteurs politiques tout le monde se mettent à magnifier la démocratie et la bonne gouvernance. On peut dire que le Mali est à 95 % musulmans, certains diront que pourquoi on n’a pas adopté la voie islamique. On le voit dans un pays voisin comme la Mauritanie. La Mauritanie est un pays islamique. Mais au Mali, on est laïc, nous sommes un Etat laïc, c’est la constitution qui le dit. Donc si c’est un Etat laïc on n’a pas voulu emprunter le chemin de la charia islamique. Nous, en tant que République laïque nous avons opté pour la démocratie et la République. Pour faire marcher la démocratie, les élections sont nécessaires.

Mali Tribune : La démocratie malienne, un modèle à refonder après 31 ans d’exercice ?
Dr. I. S.
 : Absolument ! Souvent les gens disent il faut refonder, avoir des institutions fortes, il faut des textes. A notre avis, les textes qui sont là ne sont pas appliqués. Souvent ça fait appel à un problème d’homme. Il y a un problème d’homme au Mali et c’est vraiment déplorable. Quand on vu le dernier coup d’Etat de 2020 quand on se réfère à ça, c’est vraiment un problème d’homme. La crise poste électorale qui s’est installée, nous avons vu que les députés qui se sont plaints du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation sont au nombre de 39 et ceux de la Cour constitutionnelle sont au nombre de 29. Ça fait un total de 69 près de la moitié des députés qui sont élus à l’Assemblée nationale parce que les députés sont au nombre de 147 donc sur 69 circonscriptions électorales, ceci se sont plaints du fait que le ministère de l’Administration territoriale ou la Cour constitutionnelle ont mélangé leurs résultats donc cela pose problème. De 1997 jusqu’à nos jours, tous les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle ont fait l’objet de polémique. Ce sont les hommes maliens même qu’il faut refonder au lieu de dire qu’il faut refonder les institutions.

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